Ceux qui suivent un peu ce blog – et vous avez bien du mérite étant donné la fréquence des mises à jour – sont coutumiers de ce rendez-vous de fin d’année. Pour les autres, une introduction : voici une sélection des 10 jeux qui ont le plus retenu mon attention au long de 2014. Néanmoins, si habituellement je parle de « newsgames », je me suis rendu récemment compte que le terme n’était pas vraiment idéal pour décrire le genre d’objets que The Pixel Hunt produit. Je préfère désormais parler de « jeux du réel ». Je vous expliquerai ce que j’entends par là dans une prochaine note de blog, qui devrait si tout va bien être publiée très bientôt (c’est-à-dire avant le « best of des jeux du réel 2015 »). En attendant, bonne lecture et bonne année !
The refugee challenge
Fin 2013, Jean Abbiateci et moi avons obtenu de la part de l’European Journalism Centre une bourse d’environs 20000€ pour réaliser un reportage sur la reconstruction d’Haïti. Comme l’innovation formelle faisait partie du cahier des charges, nous nous sommes un peu creusé la tête, et nous avons fini par imaginer une sorte d' »article dont vous êtes le héros », à mi-chemin entre le newsgame et le longread (ces reportages multimédia à la Snowfall qui fleurissent sur le web depuis quelques années). « Mouahaha », nous sommes-nous dit, car nous aimons bien rigoler très fort en nous tapant sur le bide, « Mouahaha », donc, « C’est tout à fait nouveau, jamais vu, révolutionnaire, on va casser la baraque ».
Eh bien il faut croire que comme toutes les bonnes idées, celle-ci était dans l’air du temps, puisque quelques semaines plus tard, et avec 4 mois d’avance sur nous, le Guardian publiait The refugee challenge, un… « article dont vous êtes le héros », à mi-chemin entre le newsgame et le longread. Damn.
Le sujet, cependant, est tout autre que la reconstruction d’Haïti. Si vous relevez le défi, vous y incarnerez Karima, une jeune mère de famille syrienne bien décidée à fuir la guerre civile qui ravage son pays pour trouver refuge en Europe. Il va dès lors vous falloir faire des choix, et non des moindres. Passer par la Turquie ou tenter de rentrer directement en Grèce ? Remplir une demande d’immigration légale ou franchir la frontière en douce ? À chaque décisions ses conséquences, et, au final, à chaque périple sa conclusion. Il vous appartiendra, ensuite, de reprendre l’exode au début, un luxe qui n’est bien sûr pas offert aux milliers de syriens vivant dans la misère des camps de réfugiés.
Illustré de témoignages authentiques et de chiffres fournis par le travail des ONG sur place, cet article est un excellent exemple de ce que la fiction peut apporter au journalisme. Bien sûr, Karima n’existe pas. Et en même temps, il y a des milliers de Karima, aux destins divers, et pour comprendre leurs vies, leurs peines, leurs errances, The refugee challenge est, me semble-t-il, un excellent moyen.
Et notre article à nous, alors ? Ah, vous êtes gentils de demander. Ça s’appelle ReConstruire Haiti, et vous pouvez le trouver en cliquant ici.
How Much Time Have You Wasted on Facebook?
STOP ! Je vous arrête tout de suite, les deux du fond, là, qui marmonnent déjà. « Mais c’est pas un jeu ça ! », vous entends-je grogner, le sourcil levé, la lèvre retroussée. Alors tout d’abord, arrêtez de faire cette tête, vous êtes très vilains comme ça. Et ensuite, si, c’est un jeu. En tout cas, selon ma définition : « un jeu est une expérience interactive, régie par des règles, dans laquelle l’utilisateur a un objectif et dont le résultat varie en fonction de ses actions. » En outre, ce n’est probablement pas uniquement ma définition, je l’ai probablement vol empruntée à quelqu’un.
Il y a quelque chose de magique dans HMTHYWOF. De magique, et de terrible, aussi. Vous vous y connectez via votre compte Facebook, vous y saisissez une valeur estimée à la louche du temps que vous pensez y passer par jour, et voilà. Après quelques instants de calcul, vous allez obtenir votre résultat, qui va varier selon votre rapport au plus populaire des réseaux sociaux. Le programme va en effet remonter le fil de votre profil, comptabiliser toutes vos actions et interactions, et y appliquer un coefficient pour calculer, au final, la somme totale de temps passé sur FB.
C’est magique, parce que c’est la matérialisation soudaine et concrète d’une quantité que vous savez importante, mais dont vous n’aviez qu’une vague idée. Or, ce n’est peut-être pas votre cas, mais de mon côté, je me pose souvent ce genre de questions. Si je pouvais rassembler la quantité d’eau que j’ai bue depuis ma naissance, ça remplirait combien de piscines ? Si je faisais tenir l’une sur l’autre les cigarettes que j’ai fumées, pourrais-je atteindre la Lune, ou seulement le haut de mon immeuble ? Hum. C’est vrai qu’une fois écrit, ça peut sembler bizarre… Mais bref. Pour ce qui est de Facebook, j’ai maintenant ma réponse. Et vous ? Essayez d’estimer cette durée de tête, et comparez avec le résultat d’HMTHYWOF, pour voir.
Le côté terrible, c’est de ce demander ce que j’aurais pu faire d’autre avec ces 52 jours et quelques… Plus de posts sur ce blog, probablement !
The Reportero Challenge
Avouez-le : vous avez toujours rêvé d’être rédacteur en chef. C’est humain, vous fantasmez sur le côté « chef » du boulot. Donner des ordres, avoir des responsabilités, toucher un gros chèque à la fin du mois… Enfin, ce dernier point, c’est bien entendu si vous n’habitez pas au Mexique, ou si intégrité, indépendance et investigation ne font pas partie de votre vocabulaire. Tenez, prenons l’exemple de Zeta, un journal indépendant basé à Tijuana et s’attaquant aussi bien aux cartels de la drogue qu’aux pouvoirs publics corrompus. Eh bien, ses journalistes ont dû pendant des années résister aux menaces et aux intimidations. Ils ont parfois été victimes d’agressions, voire d’assassinats. Et un des deux rédacteurs en chef… s’est fait assassiner.
La chaîne PBS a diffusé un documentaire sur Zeta, et sur la question de la liberté de la Presse en général. Et pour accompagner la diffusion de celui-ci, elle a aussi produit un jeu très simple et néanmoins excellent. Toujours intéressé(e) par un boulot de rédac’ chef ? Félicitations ! Vous voici donc à la tête d’El Centinela-Investigador, copie virtuelle de Zeta. Semaine après semaine, vous allez devoir prendre des décisions. Votre journaliste qui semble avoir découvert un nouveau Baron doit-il poursuivre son enquête ? Que faire si des hommes masqués viennent menacer vos vendeurs de journaux ? Et ce déjeuner avec le ministre, vous y allez ? Réfléchissez bien, car chaque décision peut avoir des conséquences (parfois) positives ou (souvent) négatives sur la diffusion de votre titre, sa crédibilité et la sécurité de vos employés.
The Reportero Challenge est un jeu affreusement difficile, et ça fait bien évidemment partie de son message. Il illustre parfaitement la finesse de la ligne sur laquelle les gens qui se battent pour une presse libre doivent rester en équilibre dans un pays comme le Mexique.
TradeMarkVille
« Dans la cité magique de TradeMarkVille, chaque mot prononcé est instantanément protégé par un copyright, déposé par les avocats du Roi – et par conséquent banni du langage. Du coup, les gens sont obligés de trouver des moyens de plus en plus bizarres pour exprimer leurs pensées . Quand la communication ordinaire devient un casse-tête, la prose devient poésie. »
Si vous ne vous intéressez pas plus que ça au petit monde du jeu vidéo, vous êtes peut-être passé(e) à côté, mais King, le développeur du jeu à (énorme) succès Candy Crush Saga, a déclenché un tremblement de terre en janvier dernier, en tentant de déposer le mot « candy » (bonbon) comme marque commerciale. Le but de la manœuvre était de se protéger contre les petits studios qui grappillaient un peu du succès de Candy Crush en sortant des clones de ce jeu, affublés de noms similaires. Mais la manière n’était pas très élégante, et elle avait de quoi irriter : en gros, King interdisait purement et simplement à tous les autres développeurs d’utiliser un nom commun. Bof bof.
Il y a donc eu pas mal de réactions critiques de la part des devs indés, et la plus élégante est sans doute TrademarkVille, imaginée par Mikhail Popov et l’inévitable Paolo Pedercini (du collectif d’activistes La Molleindustria). Dans ce jeu multijoueurs, vous devez faire deviner des mots simples (« candy », donc, mais aussi « bee », « bird », « apple »… ce genre de choses) aux autres en en écrivant votre propre définition. Problème : à chaque fois que quelqu’un propose une description, l’ensemble des mots qui la composent (y compris les articles) sont instantanément trademarkés. Plus aucun autre joueur n’a par la suite le droit de les employer ! Il n’a fallu que quelques heures à TrademarkVille pour devenir, par conséquent, un jeu extrêmement compliqué, ou périphrases, barbarismes et maltraitance de la ponctuation, mais aussi poésie et associations d’idées sont les plus sûrs moyens de gagner quelques points. On marche sur la tête, bien entendu, mais on se la creuse aussi, ce qui est toujours agréable.
Beep Boop Bitcoin, Advanced Bitcoin simulator
J’ai une confession à vous faire : j’aime bien les jeux étranges. Les trucs minimalistes qui deviennent gargantuesques, par exemple, je trouve ça génial. Ma première partie de Candy Box a ainsi viré au coup de foudre. Pensez donc : un truc 100% en ascii (c’est-à-dire dont les graphismes sont uniquement basés sur des compositions de caractères textuels), qui commence par une simple ligne (« You have 0 candies ! ») et qui finit en aventure épique avec dragons, sorcières et tout le toutim, je dis bravo. Mais si on m’avais averti que je ressentirais à nouveau cet émerveillement avec, en plus, la sensation d’avoir appris quelque chose, je ne l’aurais pas cru.
Et pourtant, c’est le pari réussi de Beep Boop Bitcoin. Dans ce « simulateur perfectionné de bitcoin », vous allez apprendre à devenir « mineur » de monnaie virtuelle. Il vous faudra donc avancer étape par étape, persuadé, comme des milliers d’internautes un peu geeks et très crédules, qu’il y a beaucoup d’argent à gagner facilement. Acheter un ordinateur, fréquenter des forums de discussion pour acquérir une connaissance sommaire sur la monnaie cryptée, investir beaucoup d’argent dans une machine performante qui vous permettra d’en fabriquer (car oui, les bitcoins se fabriquent)… et surtout, vous faire arnaquer dans les grandes largeurs.
Beep Boop Bitcoin est un jeu qui respire l’ironie. Remarquablement écrit, dans une économie de moyens qui sert son propos, il commence comme un simulateur d’économie virtuelle pour se muer, à peu près à mi-partie, en fiction interactive hallucinée et gonzo sur votre descente aux enfers. On rit beaucoup, on apprend énormément sur l’univers interlope du « dark web », et on en ressort avec la conviction qu’on a mieux dépensé son temps en y jouant que d’autres en essayant de fabriquer des Bitcoins. Brillant !
Le jeu dont François Hollande est le héros
Parfois, je ne comprends pas les Français. Pourquoi aller s’enticher de séries américaines à la House of Cards, quand niveau intrigue et rebondissements on a aussi bien, voire mieux, et pour de vrai, à la tête de notre état ? Heureusement, les gars du Monde.fr sont là pour vous remettre dans le droit chemin avec leur newsgame sur notre Président et ses dilemmes cornéliens.
Le pitch ? « A l’Assemblée nationale, les socialistes n’ont besoin de personne : avec 291 sièges sur 577, ils détiennent la majorité absolue. Mais cette dernière ne tient qu’à un fil. […] Beaucoup de ministres et de ministrables ayant été élus députés en juin 2012, la formation du nouveau gouvernement aura des conséquences sur les équilibres à l’Assemblée nationale. Vous êtes François Hollande. Confronté à des situations politiques réelles ou imaginaires, saurez-vous faire les bons choix pour conserver la majorité absolue des socialistes à l’Assemblée ? »
S’en suit une série de 8 choix plus délicats les uns que les autres, qui vont vous demander un bon paquet de mojo politique pour vous en sortir en préservant votre majorité. Et encore, le jeu date d’avant la fronde de certains députés PS… Une super initiative, donc, signée Jonathan Parienté et Maxime Vaudano des Décodeurs du Monde.fr, et réalisée en quelques jours à peine. Ou quand le newsgame rend intéressant un sujet qui, sous une autre forme, aurait laissé plus d’un lecteur de marbre…
Coming Out Simulator 2014
C’est quoi, en fait, un coming out ? Je veux dire, au-delà de la simple définition du terme, que ressent-on quand on est homosexuel et qu’on décide, un beau jour, qu’on a passé assez de temps à le cacher à ses proches ? N’étant pas homo, je ne le saurai probablement jamais exactement. Mais depuis que j’ai joué à Coming Out Simulator, j’en ai une idée plus précise… En tout cas, je sais ce que ça a été pour Nicky Case, l’auteur de ce jeu.
C’est toute la force de COS2014 : une porte ouverte sur l’intime. Vous voilà donc, le héros du jeu, en couple avec un autre garçon et très heureux de cet amour naissant. Votre seul souhait : passer des soirées avec votre amoureux sans avoir à mentir en prétendant que vous travaillez vos cours ensemble. Mais vous redoutez le jugement de vos parents, de culture Coréenne classique. Il va vous falloir du courage pour passer aux aveux.
Prenant la forme d’un livre dont vous êtes le héros enrichi d’illustrations animées, COS2014 se joue de vous. Il vous suggère qu’il propose des « bonnes » options, et d’autres « mauvaises », et que vous devez trouver le chemin adéquat pour traverser cette épreuve sans heurts. Mais c’est impossible. Quelles que soient vos précautions, vos détours, vos compromis, la vérité, la seule que vous ayez à transmettre, celle de votre homosexualité, est impossible à entendre pour vos parents. Alors non, tout ne se passera pas bien. Mais cela ne veut pas dire non plus que vous êtes condamné à la tragédie.
Extrêmement bien écrit, drôle, émouvant, et servi par un graphisme à la fois simple, dynamique et expressif, COS2014 est une réussite. Ce genre de titre démontre assez clairement une des grandes forces du jeu vidéo : sa capacité à provoquer l’empathie.
This War of Mine
Il y a les jeux auxquels on a envie de jouer, pour tout un tas de raisons. Ils ont l’air cool, fun, il y a des explosions sympa, vous avez toujours voulu être un plombier italien à moustache, que sais-je ? Une vaste majorité des jeux vidéo sont là pour ça : vous détendre, vous divertir, vous faire penser à autre chose et passer un agréable moment. Pas This War of Mine. This War of Mine est là pour vous faire vivre un enfer.
Jugez plutôt : vous voici plongé dans l’enfer de la guerre, une guerre particulièrement crado, genre le siège de Sarajevo en 1992. Mais pour une fois, vous n’allez pas incarner un fringuant soldat capable de loger une balle de 5.56 nato dans la tête d’un ennemi à 300 mètres en sautant comme un cabri. Au lieu de ça, vous allez devoir présider au destin de 3 civils (une équipe qui s’enrichira d’autres membres au fil de la partie) qui n’ont qu’un objectif : survivre alors que se déchaîne autour d’eux l’enfer des combats.
Ces civils comme vous et moi, vous allez leur demander de fouiller dans les décombres à la recherche du moindre objet pouvant être réutilisé, de bricoler des objets en tous genres, du lit à la cartouche de fusil « faite maison », de combattre le froid, la faim, la maladie… Et rapidement, vous vous rendrez compte qu’il n’y a pas de salut sans pillage de la propriété d’autres survivants. Mais que se passera-t-il quand, pendant une de vos escapades nocturnes, vous tomberez nez-à-nez avec un fils prêt à tout pour que vous reposiez les médicaments destinés à son père malade que vous venez de glisser dans votre sac ? Si vous obéissez, comment soigner les vôtres ? Si vous le tuez de sang froid, serez-vous capable de survivre à la culpabilité, qui viendra vous assaillir en plus de tout le reste ?
Comme l’a dit un journaliste US à propos de This War of Mine : « Est-ce un jeu auquel on a envie de jouer ? Non. Est-ce un jeu auquel toute personne vivante devrait joueur ? Oui. »
La Parabole des Polygones
Au pays des Polygones, il y a des carrés bleus et des triangles jaunes. Ils s’entendent bien, dans l’absolu. Mais voilà, ils sont « différents ». Et comme dit ma mère, à moins d’avoir reçu une éducation parfaite en matière de tolérance (ce qui me parait très compliqué), « On a tous en nous un petit Le Pen ». On est tous, même si ce n’est qu’un petit peu, raciste – ou, comme on dit chez les polygones, « formiste ».
Evidemment, je ne vous parle pas du racisme outré, « les noirs sont fainéants », « les arabes sont voleurs », « les chinois sont fourbes », « les bretons sont alcooliques ». Il s’agit plutôt ici d’un phénomène latent. Dans une autre vie, j’ai été militant PS dans le XVIIIe. On y parlait tolérance, ouverture et multiculturalisme. Mais on en parlait majoritairement entre blancs. Et dans les classes du collège du coin, il n’y avait que des enfants noirs ou arables. Où étaient les blancs ? Dans le privé, dans d’autres quartiers… Les parents que j’ai interrogés à ce sujet avaient tous la même réponse : « On mettrait bien notre enfant dans cette école, mais ce n’est pas possible, car il serait seul… » Du coup, tout le monde était parti, et personne ne revenait.
C’est de ce genre de phénomène que parle La Parabole des Polygones. Mais pas à propos de l’école – plutôt au sujet de la manière dont les villes se structurent via ce léger racisme, cette méfiance vis-à-vis de la différence qui pousse les gens à quitter un quartier s’ils se sentent « en minorité ». Ce phénomène a été formalisé par le théoricien du jeu et prix Nobel Thomas Schelling, via son modèle mathématique de la ségrégation raciale. Et Nicky Case (décidément !) et Vi Hart en ont fait un article rehaussé de modules de jeu permettant au lecteurs, par la manipulation, de comprendre les conséquences, pour toute la société, de nos préjugés et des choix qu’ils nous dictent. J’ai traduit La Parabole des Polygones en français, mais je n’ai pas les connaissances universitaires nécessaires pour savoir si la théorie de Schelling est « la bonne ». La réalité est probablement plus complexe qu’elle n’apparaît dans cet article, et je doute que la ségrégation puisse se réduire à une seule équation. Néanmoins, je trouve l’utilisation du jeu par Case et Hart pour illustrer un point de vue absolument brillante, j’avais donc envie de la partager avec les anglophobes parmi vous.
Jeu d’influences
Ha ha ! Vous ne croyiez tout de même pas que j’allais finir ce Best Of sans citer aucun jeu impliquant The Pixel Hunt ? Bien sûr, j’aurais pu être modeste et dire que non, qu’on ne peut pas être juge et parti, qu’il est bon de savoir se mettre en retrait et que… BULLSHIT ! Jeu d’Influences, c’est de la balle, et je remercie chaque jour le seigneur et Julien Goetz de m’avoir donné l’occasion de travailler sur ce projet !
Alors pour les trois personnes que je n’ai pas encore saoulées avec ce jeu, un petit résumé. Dans Jeu d’Influences, vous êtes Louis Esmond. Ces dernières années, vous avez réussi à redresser spectaculairement Habinat, une entreprise de BTP sur le déclin, en lui faisant prendre le tournant de la construction écologique. Les affaires vont bien, et vous êtes un patron comblé… jusqu’à ce que Mickael, votre bras droit, se suicide. C’est ballot. Très.
Surtout qu’au drame humain va très vite s’ajouter une tempête médiatique. Vous n’avez pas le choix : pour affronter cette crise, vous allez vous adjoindre les services d’un Spin Doctor, un conseiller en communication spécialisé dans l’urgence. Mais qu’allez-vous lui demander ? Allez-vous accepter ses suggestions qui, si elles défendent toujours vos intérêts et ceux de votre entreprise, peuvent avoir des conséquences dramatiques pour vos proches ? Irez-vous jusqu’à mentir aux journalistes ? Tordrez-vous l’opinion publique ? Et à la fin de tout ça, pourrez-vous encore vous regarder dans une glace ?
Inscrit dans un triptyque transmédia sur les Spin Doctors, en compagnie d’un double documentaire télé et d’un livre, Jeu d’Influences, le jeu, se veut une expérience sombre et mature de docu-fiction. Elle demande au joueur de rentrer en empathie avec le héros pour trancher des dilemmes moraux et prendre des décisions qu’il sait lourdes de conséquences… même s’il ne sait pas toujours lesquelles. Ça ressemble à The Walking Dead, vous dites ? Normal : c’est moi qui ai fait le game design de Jd’I, et j’ai tout pompé, ou presque, sur le chef d’oeuvre de TellTale. Je l’avoue sans aucun problème, votre honneur, je plaide coupable, je raconte tout dans un post-mortem (j’écrirai la seconde partie un jour, promis !) et si je dois aller en prison j’irai. L’important, c’est que ça fonctionne bien. Que vous ayez les chocottes, que vous réfléchissiez en jouant, que vous vous disiez que, tout de même, vous êtes une ordure – ou un brave gars, si vous voulez perdre.
Mais l’autre leçon importante à tirer de ce projet, mis à part que je suis un affreux plagiaire, se trouve du côté des « metrics ». Si Jeu d’Influences n’a pas touché un public extrêmement large (environs 80000 V.U), il a captivé ses joueurs. Le temps de connexion moyen au site est de 25 minutes. La majorité des joueurs a été jusqu’au dénouement. Une bonne part ont même fait deux ou trois parties. Et ça, vopyez-vous, ça me fait vraiment chaud à mon petit coeur de mec qui développe des jeux du réel.
PS : au fait, les jeux du réel, ça ne date pas d’aujourd’hui, hein. Tenez, on en faisait déjà en 1940, pour apprendre aux petits Français à sucer le mieux possible le sang des colonies.