Article initialement publié sur Lemonde.fr
Les journalistes ont de plus en plus souvent recours à l’infographie. En présentant une masse de données sous une forme graphique bien conçue, on facilite en effet la compréhension et l’analyse du public. Mais aujourd’hui, les infographies tendent à évoluer dans le même temps qu’Internet se développe.
« Désormais, les utilisateurs d’infographies sont aussi des producteurs. Les infographistes, eux, ne sont plus uniquement des présentateurs, ils deviennent des facilitateurs. Ils doivent toujours présenter l’information et indiquer au lecteur les faits principaux. Mais ils doivent aussi lui permettre de jouer avec cette information et de se créer des scénarios avec les données fournies », explique Alberto Cairo, journaliste espagnol spécialiste d’infographie interactive.
JOUER AVEC LES DONNÉES DU BUDGET
Jouer avec des données, c’est ce que propose le jeu de budget Balance 2009. Conçu en Flash par la Gotham Gazette, un site d’informations sur New York, il offre à l’utilisateur la possibilité de manipuler le budget de la ville, en partant des chiffres officiels prévus pour 2010. Evidemment, chaque dépense supplémentaire, quel que soit le secteur concerné (éducation, police, transports publics…), doit être compensée par une rentrée d’argent équivalente (placer un péage sur les ponts de l’East River, augmenter la taxe foncière…). Et toutes les augmentations d’impôts potentielles comportent des effets négatifs, décrits par de courts textes.
Il est alors amusant pour l’utilisateur de tenter d’établir un budget différent de celui proposé par la municipalité, et plus conforme à ses propres vues en matière de politique de la ville. Mais comme le jeu ne comporte pas d’objectif, le joueur n’en retire finalement pas grand-chose, si ce n’est un ordre de grandeur des différents postes du budget de la ville.
Autre jeu de budget, Budget Hero, lui, est en revanche conçu comme un vrai jeu vidéo. Ce titre, diffusé par American Public Media, le second plus gros producteur américain de radio publique, traite du budget fédéral des Etats-Unis. Mais à la différence de Balance 2009, il propose au joueur de choisir, en début de partie, trois « badges » qui définiront ses objectifs.
Va-t-il tenter de mettre en place un budget qui renforcera l’indépendance énergétique du pays ? L’écologie ? La santé ? C’est seulement après avoir fait ces choix que l’utilisateur peut modifier les différents postes du budget, en jouant des cartes qui augmentent ou diminuent les dépenses dans chaque domaine, mais aussi en manipulant les règles fiscales. Puis le budget établi est soumis au programme, qui l’analyse et produit une synthèse indiquant si le joueur a atteint les objectifs qu’il s’était fixés en début de partie.
Les chiffres utilisés par Budget Hero sont ceux du ministère du budget américain, et les données du jeu sont régulièrement mises à jour pour suivre les évolutions politiques et macroéconomiques des Etats-Unis. Au total, 154 options sont disponibles, chacune ayant un effet sur le budget. Dans un contexte d’information classique, il serait compliqué de pousser un lecteur lambda à s’intéresser à l’ensemble de ces données. Mais l’objectif que se fixe le joueur l’incite à les étudier plus en détail, et à les considérer non plus comme de simples chiffres, mais comme des leviers à la disposition de l’Etat pour porter une politique particulière.
TRAITER DES CARTES ET DES DIAGRAMMES
Si les jeux vidéo sont efficaces pour traiter et analyser d’importantes bases de données chiffrées, ils le doivent à leur nature de programmes informatiques. Mais les infographies sont aussi capables de traiter d’autres types de données, spatiales ou organisationnelles, à travers des cartes et des diagrammes. Est-ce également le cas des jeux vidéo ? L’analyse de Clim’City fournit un élément de réponse.
L’objectif de ce jeu est de réduire les émissions de gaz à effet de serre de toute une région, en planifiant sur cinquante ans une série d’actions. Installation d’un parc d’éoliennes, pose de panneaux solaires, isolation des habitations… Chaque décision coûte des « points d’action » au joueur et présente des avantages et des inconvénients. A tout moment, le joueur a accès à des compteurs lui indiquant si le « plan climat » qu’il met en place porte ses fruits. Comme Budget Hero, Clim’City est d’abord une énorme base de données, puisque le programme calcule perpétuellement les effets chiffrés des décisions du joueur. L’interface de ce jeu (une région entière vue du ciel) fournit aussi des informations géographiques.
Si le joueur commande l’implantation d’un parc éolien, les turbines ne seront pas installées n’importe où ; le jeu les disposera sur un emplacement bien exposé au vent. Et toutes les améliorations écologiques ne sont pas immédiatement mobilisables. Clim’City est doté de ce que l’on appelle un « arbre technologique », qui correspond aux contraintes de la réalité : pas question, par exemple, d’équiper les bâtiments publics de chaufferies à bois si on n’a pas au préalable mis en place une filière bois-énergie.
Le joueur attentif peut donc récolter, au fil d’une partie de Clim’City, des informations très variées sur l’organisation d’un « plan climat » : des données chiffrées, une sensibilité géographique et un aperçu de la manière dont un tel plan s’organise. Chacune de ces familles d’informations aurait pu faire l’objet d’une infographie à part entière. Ici, elles s’interpénètrent, et sont toutes nécessaires pour gagner la partie. Cependant, le joueur n’est pas guidé dans une direction particulière. Cela se justifie parfaitement d’un point de vue ludique, puisque l’intérêt d’un jeu est de trouver seul, après plusieurs tentatives, la meilleure stratégie à appliquer.