Et voilà, nous rentrons dans la période des « best of » de l’année, et une fois encore, je vais tenter de me plier à l’exercice en vous présentant une sélection de 10 newsgames qui ont particulièrement retenu mon attention en 2012.
Les jeux olympiques de Londres, qui se sont tenus cet été, ont donné lieu à une flopée d’objets interactifs, dataviz et reportages enrichis en tous genres. J’en ai choisi deux pour ce top 10, et le premier est le plus minimaliste. Les règles du « jeu » ? Rentrez votre taille et votre poids. Le programme compare alors vos informations à celles d’une sélection d’athlètes olympiques. C’est ainsi que j’apprends que j’ai le gabarit de Nicola Benedetti, chantre italien du Pentathlon moderne. Si Your Olympic athlete body match est plus un « jouet » qu’un jeu à proprement parler, il présente à l’utilisateur une info intéressante de manière ludique. Brillant de simplicité !
Jeux de Londres toujours. Cette fois, on vous propose de vous attaquer aux records olympiques de quatre disciplines : le 100 mètres, le 10 kilomètres, le 100 mètres nage libre et la course cycliste sur piste. Chaque partie se déroule en deux temps. Vous participez d’abord à une course virtuelle entre plusieurs champions, en rentrant le chrono que vous souhaitez. Tapez 10 secondes pour le 100 mètres, par exemple, et vous passerez la ligne entre le Donovan Bailey de 1996 et le Jesse Owens de 1936. Un bon moyen de comparer les performances à travers les âges… Mais la vraie performance physique vient ensuite. Il est en effet temps de refaire la course, mais cette fois votre personnage ne court plus tout seul : vous devez taper sur les touches de votre clavier le plus rapidement possible pour le faire se déplacer. Bon courage, alors, pour battre le roi Usain Bolt !
Même si ce fut une autre grosse actu de 2012, la Présidentielle US n’a pas donné lieu à énormément d’objets interactifs innovants. Bien sûr, il y a bien eu cette BD interactive passionnante, ou encore le sempiternel jeu de baston Obama VS Romney… mais c’est une petite webapp toute simple qui a finalement le plus retenu mon attention. Le principe est enfantin : vous choisissez une action (prendre une douche, manger une glace, changer un bébé…), vous rentrez sa durée (5 minutes, 10 minutes, de 10 à 30 minutes selon la bonne volonté de ma fille), et hop ! L’app vous informe de l’argent que Mitt Romney a gagné pendant ce temps. Un exemple ? « In the time it takes me to write an article about RomneyMakes, Mitt Romney makes $2,948.64 ». Mais ce n’est pas tout : s’en suit tout une série de petites infographies interactives aidant l’utilisateur à réaliser à quel point le candidat malheureux à la Présidentielle est un homme d’affaires comblé. Efficace !
« Pourriez-vous survivre en gagnant 1,25 dollars par jour ? » La question est directe, brutale, et pourtant elle concerne beaucoup de monde. Vous voilà par exemple dans la peau de Divya Patel, fabricante de briques indienne et mère de quatre enfants. Chaque jour qui passe apporte sa nouvelle, parfois bonne, souvent mauvaise, et vous devez faire des choix déchirants pour ne pas vous retrouver sans le sou. Alors bien sûr, cette application est un peu outrée : elle développe une rhétorique qui ressemble à celle de l’excellent Spent – les deux ont été développés par des ONG avec pour objectif de récolter des donations. Néanmoins, tant dans la forme que sur le fond, rien n’empêcherait un usage plus journalistique de ce genre de jeux.
Jordan Magnuson est un type un peu taré. Il y a deux ans, il a lancé une campagne sur Kickstarter pour financer son projet fou : faire le tour de l’Asie avec son sac sur le dos, et raconter ses souvenirs de voyage, non pas en tenant un carnet comme Ernest Hemingway, mais en faisant des jeux vidéo. Il est ainsi devenu le premier « Grand jeuxporter » de l’histoire. Le résultat ? 10 ovnis, 10 petits jeux qui traitent de sujets aussi divers que l’emprise de la Chine sur Taiwan, les traces du génocide Khmer ou la guerre du Vietnam, avec une élégance et une sincérité splendides. Le genre d’initiatives qui prouvent que décidément oui, quand il est bien utilisé, le jeu vidéo peut être un média incroyable pour raconter notre monde.
Oyez, journalistes scientifiques ! Voici un reportage interactif qui vous emmène visiter… l’univers tout entier. Du plus petit – la longueur de Planck – au plus grand – le gigaparsec -, vous allez pouvoir comparer les tailles de tout ce qui compose le monde qui vous entoure. Cette animation était déjà absolument bluffante lors de sa première itération, mais cette fois, en plus, vous pourrez cliquer sur tous les éléments présentés pour afficher des infos contextuelles simples mais passionnantes, et même souvent drôles ! The Scale of the universe n’est pas encore un « vrai » jeu : il n’y a pour l’instant pas d’autre objectif à sa consultation que celui de satisfaire votre curiosité. Mais il pourrait facilement le devenir, si les concepteurs lançaient des défis aux utilisateurs. Par exemple : « Trouvez combien de bactéries il faudrait empiler pour arriver à la hauteur d’une fourmi… » Une idée pour la version 3, peut-être.
Game The News est un projet d’Auroch Digital, un studio de développement habitué aux jeux qui sortent du cadre du simple divertissement. L’équipe de ce site, qui se présente comme « le premier réseau de correspondants de presse couvrant des actus internationales sous forme de jeux », produit des titres pour le Huffington post, Wired, et aussi à compte d’auteur. En fait, Game the news est en quelque sorte le premier « pure player » du newsgame. Les jeux produits, tous à la fois compatibles web, Androïd et iOS, sont souvent courts. Si nombre d’entre eux ne sont pas encore très convaincants, certains, comme ce titre sur la vie d’un enfant travaillant dans un champ de coton en Ousbékistan, proposent des expériences très intéressantes. Et d’autres vont plus loin, comme Endgame : Syria, « une exploration interactive de la guerre civile ayant lieu en ce moment en Syrie ». Vous voilà commandant des rebelles, à lutter, politiquement et militairement, avec les forces de Bachar el-Assad. Recevez des soutiens de pays étrangers, affrontez les chars adverses avec vos miliciens, luttez avec courage et vous ferez peut-être plier l’adversaire. Une expérience très intéressante, qui s’appuie sur un vrai travail d’enquête et d’analyse journalistique.
On parle beaucoup, en ce moment, de l’état catastrophique des prisons françaises, des conditions de détention délétères et du mal-être partagé par les prisonniers, les gardiens et les directeurs. Voici un jeu en développement qui va permettre de comprendre de plus près ce que gérer une prison veut dire. Même si pour le coup, Prison Architect est un « vrai jeu », c’est-à-dire un titre à visée d’abord divertissante, développé par une équipe ne se réclamant pas du journalisme. Mais, comme le signale David Dufresne sur son blog, le projet a d’intéressantes influences. En l’occurrence, Prison Valley, fameux webdocumentaire réalisé par l’auteur de Tarnac, Magasin général, et traitant des centres de rétention du Colorado. Alors, est-ce que le sujet intéresse les « gamers » ? Je vous laisse juger : alors qu’il n’est encore qu’en version alpha, Prison architect a déjà recueilli presque 20 000 préventes, pour un CA de plus de 650 000 dollars.
Le département interactif du New York Times continue à régulièrement produire des newsgames, dans son inimitable style à la fois docte et funky. Certes, on est loin de l’explosion visuelle d’un Bioshock, mais il faut dire aussi qu’on traite là d’un sujet on ne peut plus austère : la situation budgétaire américaine. Entre la volonté de réduire le déficit et celle d’éviter une récession, il va forcément y avoir des mécontents. A vous de décider qui ! Vous pourrez prendre des mesures et constater leur impact sur différents groupes sociaux et politiques – représentés par des smileys plutôt mignons, quelques grammes de lol dans un monde de chiffres. Vous pourrez aussi comparer vos décisions à celles de l’administration Obama, voire tenter d’atteindre des objectifs précis, comme provoquer des scénarios catastrophe… pour le 1% le plus riche de la population !
Finalement, les Mayas s’étaient bien plantés, la fin du monde n’est pas pour 2012. A moins que… Tout dépend de vous ! Arriverez-vous à faire s’enchaîner les catastrophes dans ce jeu ? Tremblements de terre, raz-de-marée, inondations… vous contrôlez les éléments, et pouvez même les combiner pour déclencher des pluies d’astéroïdes ravageuses. Il faudra au moins ça pour débarrasser notre planète de ses 6 milliards et quelques d’habitants. Signalé à mon attention par l’excellent blog OuJeViPo,2012, le jeu est donc un newsgame portant sur un sujet d’actu insolite. Mais il est aussi intéressant dans sa forme : il a été réalisé en 48 heures seulement, dans le cadre du festival de science-fiction Les Utopiales. Avec un délai de production aussi court, plus rien n’empêcherait une rédaction de proposer des jeux en réaction rapide à une actualité…
Voila pour ma sélection de newsgames marquants en 2012. Rendez-vous en 2013 : j’ai déjà eu vent de quelques projets qui devraient être très intéressants !
L’Autre Élection est un webdocumentaire qui vous propose de découvrir six candidats en campagne dans l’un des pays les plus corrompus au monde, la Papouasie Nouvelle-Guinée. Il prend la forme d’une web-série documentaire en six chapitres, liés par des « Cartes postales » interactives à explorer.
En collaboration avec Igal Kohen, ThePixelHunt a conçu le game design des « Cartes postales à explorer » qui assurent le lien entre les six chapitres du webdocumentaire.
Quentin Delamotte est étudiant au CELSA, et il vient de publier son mémoire, Quand jouer c’est communiquer, la publicité à l’épreuve du jeu. Alors qu’il travaillait dessus, il m’avait sollicité pour une discussion sur le sujet du jeu vidéo et de ses différentes applications possibles. Et il l’a retranscrite, ce qui n’a pas dû être une mince affaire ! On y parle de Primaires à Gauche, mais aussi d’éthique du game design, de mèmes, de construction de systèmes, d’éducation aux jeux vidéo et de GTA, entre autres choses. Alors, certes, ça fait un peu personal branling, mais je me suis dit que cette discussion pourrait peut-être intéresser cerain(e)s d’entre vous. Si c’est le cas, n’hésitez pas à réagir dans le commentaires, en attendant qu’on mette sur pied, avec Charles Ayats, un rendez-vous pour réunir les personnes que ces questions passionnent.
QUENTIN DELAMOTTE : Pourquoi avoir créé le jeu Primaires à Gauche ? FLORENT MAURIN : On a créé ce jeu avec la question en tête de se dire : « qu’est-ce qu’on peut exprimer de l’information, de comment se passe une campagne de primaires, et pas la campagne qui se passe en ce moment mais une campagne en général, sous forme de jeu vidéo. » C’était un essai pas parfaitement réussi, il y avait plein de choses qui n’allaient pas, pas forcément bien expliquées ou trop compliquées… Et pourtant ce jeu est bourré de vraies infos, on a fait quatre mois d’enquête journalistique pour concevoir le jeu, les personnages, les interactions… Mais ça ne se voit pas assez actuellement malheureusement.
Au final, l’idée c’est de réussir à faire apprendre et comprendre à votre public l’enjeu et le fonctionnement des primaires…
Ça c’est plutôt une conséquence. Ce qu’on a vraiment essayé de faire, c’est de montrer que la réalité marche avec des systèmes, des systèmes dans lesquels différents acteurs interagissent et où certaines actions ont des conséquences qui portent sur d’autres acteurs du système. Tout est corrélé. Tous les systèmes politiques, et particulièrement les systèmes politiques en temps de campagnes électorales, marchent comme ça, comme un système avec des engrenages. Untel va dire quelque chose donc le candidat adverse va vouloir prendre une position qui va soit aller dans son sens, soit aller contre. Ca va créer un débat : tel ou tel « personnage » satellite va se positionner pour l’un ou l’autre des personnages principaux. Donc c’est un système, avec plusieurs variables qui fonctionnent les unes par rapport aux autres. Mais en réalité tout peut être décrit en tant que système, c’est le principe de la physique, de la biologie et de toutes les sciences en général. Même le code de la route, c’est un système qui organise les interactions sociales entre les différents conducteurs.
Ce que nous avons essayé de faire, nous, c’est de décrire ce système qui existe dans la vraie vie, qui organise la vie politique et la campagne de la primaire. On a voulu le décrire en le traduisant en système informatique. Et qu’est-ce que c’est un système informatique sur lequel on peut interagir ? C’est un jeu vidéo. Les jeux vidéo sont des modélisations, des représentations informatiques de systèmes.
Mais au-delà de ça, il y avait une volonté de sensibiliser ? De faire comprendre ?
Oui ! Une volonté de faire comprendre aux gens ce système, parce que si je n’attire pas votre regard sur les systèmes qui sont autour de vous, vous ne les remarquez pas forcément. Vous ne comprenez pas forcément tous les acteurs qui sont au sein de ce système. Si jamais je ne vous dis pas que Nestlé a 80% des produits agroalimentaires que vous achetez et que dès que vous achetez une marque quelconque vous achetez une des marques de l’un des 5 plus gros groupes alimentaires vous ne comprenez pas le système de distribution de l’agroalimentaire. Pour le système des industries agroalimentaires c’est relativement simple, mais pour une campagne politique c’est un peu plus compliqué, parce que chaque action que vous faîtes peut avoir des influences sur qui va vous soutenir, qui va aller dans votre sens ou pas etc.
Et donc pour attirer l’attention des gens sur ce système qu’est une campagne électorale primaire, on a voulu le traduire dans une forme informatique et permettre aux gens de manipuler ce système en faisant bouger des variables et en comprenant ce que cela fait bouger comme autres variables dans le système : qui va me rejoindre dans mon équipe de campagne, est-ce que ça me fait gagner des voix ou pas etc.
C’est une modélisation informatique du système mais ce n’est pas une simulation au sens strict. Si on avait voulu faire une simulation, on aurait dû dépenser probablement beaucoup plus d’argent pour avoir l’incroyable potentiel du réel. Le réel propose des systèmes extrêmement complexes et impossibles à prévoir alors qu’avec le jeu on est dans une version simplifiée.
Et c’est ce que fait tout le temps un journaliste. Un journaliste qui va en reportage à Haïti, est ce qu’il va couvrir l’extrême complexité de la situation de chaque personne qui est victime du tremblement de terre ? Non, il va prendre quelques exemples qu’il estime être représentatifs et il va dessiner un tableau simplifié de la réalité mais qui va permettre au lecteur de comprendre la situation.
Dans Primaires à gauche, c’est exactement la même logique, sauf qu’au lieu de raconter une histoire, on a construit un système simplifié pour décrire un système complexe.
Donc votre objectif c’était de simplifier, de rendre accessible quelque chose qui pourrait être difficile à comprendre en soi et de le rendre intéressant et ludique pour attirer les utilisateurs ?
C’est absolument ça. Mais la première chose que vous venez de dire, c’est du boulot journalistique dans l’absolu.
Oui, donc c’est une nouvelle forme de travail journalistique.
C’est ça. Mais une des différences ici, c’est qu’on mise aussi sur le fun. Je ne sais pas si vous avez lu un peu la Theory of fun de Raph Koster, c’est un peu ce genre de motivation qu’on avait envie de tester au niveau journalistique. Sauf que nous l’avons fait pour transmettre de l’information, et ça m’embête un peu quand les marketeux [sic] le font pour vendre des yaourts. Après, ça c’est une question d’éthique personnelle. Mais après tout c’est la logique de la publicité. On ne peut pas blâmer les marketeux de faire ce qu’ils font déjà avec l’audiovisuel ou le papier.
Justement pour parler d’exemples de marques prenons l’exemple de Samsung. Samsung a gamifié son site de marque : par exemple si vous restez 10 minutes sur le site de marque vous gagnez un badge, si vous postez un commentaire vous gagnez un badge. Pour moi on arrive aux limites de la gamification parce je ne vois pas trop ce qu’il y a de fun la dedans.
Ben non, c’est du behaviourisme.
Exactement, on est plus dans le stimulus-réponse, du coup il n’y a pas de ludique …
Si, c’est le problème, d’une certaine manière c’est ludique mais c’est ludique comme un jeu de Zynga. Le modèle économique de Zynga est absolument génial : ils vous font payer pour ne pas jouer. Quand vous jouez à Famrville, la seule mécanique de gameplay c’est : avoir des ressources qui sont limitées et donc être limité pour faire des actions. On est obligé d’attendre 6h pour que les ressources se remplissent et pouvoir faire une nouvelle action. La seule mécanique de jeu qu’il y a ici c’est de gérer les ressources avec cette contrainte du temps. Qu’est-ce qu’ils vous font payer ? Ils vous font payer le fait de ne pas attendre, de racheter de l’énergie indéfiniment. Je trouve ça complètement dingue, mais ça marche parce qu’ils misent sur des mécaniques d’addiction comportementalistes et de reconnaissances sociales qui sont d’une certaine manière ludiques. C’est-à-dire que vous générez du plaisir et vous générez de la dopamine qui va vous pousser à faire une action. Mais ça, ça marche un temps. Si Zynga marche mois bien en ce moment, c’est pour ça.
Effectivement, je pense que ça peut marcher dans un premier temps mais je me dis qu’au bout d’un moment les gens, on leur donne des badges, on leur donne des points…
Qu’est-ce que j’en ai à faire d’avoir un badge Samsung…
Oui, ce qui m’intéresse quand je joue à Mario Kart ce n’est pas de gagner des points ou des badges quand j’ai gagné une course, c’est d’abord de jouer parce que c’est fun sans même gagner de points ni passer des niveaux.
Oui et pourtant sur tous les jeux vidéo de console il y a des achievements. Parce qu’il y a quelque chose dans l’activité autotélique du jeu, autrement dit dans l’activité qui suffit à elle-même du jeu, qui est de dire, dans certains profils de joueurs : « je veux épuiser le système, je veux avoir la preuve, le marqueur que je suis allé jusqu’au bout, du bout, du bout du défi. » Parce que la logique du jeu, c’est de poser un défi à relever. Et il y a des gens pour qui les marqueurs de cette logique – autrement dit les badges mais ça peut être le score ou autre chose- suffisent à transformer cette activité en activité autotélique, autrement dit auto-alimentée. C’est ce qui va faire que je vais continuer à jouer. Et ça c’est une mécanique ludique. Mais c’est une mécanique qui ne marche pas du tout chez tout le monde, seulement dans certains esprits de joueurs.
Mais c’est une mécanique qui vient en plus. On est d’accord que le jeu doit d’abord être intrinsèquement ludique ?
Oui tout à fait.
Et le fait même de n’utiliser que cette mécanique de points et de badges et d’en faire un jeu, c’est un peu comme prendre une partie pour le tout. Alors certes, ça marche dans un premier temps pour motiver et engager des utilisateurs, mais est-ce que c’est suffisant à terme pour engager les gens ? Est-ce que ce n’est pas inefficace au final ?
C’est la théorie de Bogost quand il dit « gamification is bullshit ». Pour lui la gamification est un buzzword marketing qui est hyper à la mode depuis un an ou deux, mais les gens ne savent pas faire de la gamification et dans un ou deux ans tout ça sera oublié et retombé. Si c’est le cas, ça fera beaucoup de mal au champ, beaucoup de mal à tous ceux qui veulent réfléchir à utiliser les logiques de « ludicisation » pour rendre les choses de la vie plus fun et donc plus efficaces dans leur but premier qui peut être transmettre l’information ou autre chose. Ca fera beaucoup de mal à tous ces gens-là, parce que dans quelques années les gens diront : « ah oui la gamification c’est le truc avec les badges, au début c’était rigolo mais après ça m’a saoulé ». Et il faudra trimer pour continuer d’appliquer ensuite cette philosophie ludique qui est potentiellement super intéressante.
Mais il faut que ce soit fait de manière éthique en fait. C’est pour ça que dans Primaires à gauche, on a expliqué comment on avait conçu toutes les règles du jeu et qu’on a mis en ligne les tableaux Excel avec toutes les statistiques des personnages. On voulait être parfaitement transparent dans ce qu’on avait fait, pour être éthique et se dire : « on ne veut pas que vous jouiez à ce jeu et que vous ayez le cerveau lavé pour que vous pensiez au final ce que nous on pense de la primaire. On veut que vous jouiez à ce jeu, que vous compreniez le système pour que vous puissiez l’interroger. »
Pourquoi vous n’êtes pas allés plus loin en proposant aux gens de co-construire le jeu, de l’améliorer ensemble ?
C’est ce qu’on a fait en fait. On a sorti le jeu en juin et entre juin et octobre on a fait quatre mise à jour dans lesquelles on a constamment sollicité les gens sur le blog : certains ont proposé de nouveaux personnages etc. Après, probablement que Primaires à gauche est un jeu trop compliqué avec pas assez de retours sur ce qu’on fait mais ça c’est parce que c’était un coup d’essai. On apprenait en faisant, on a fait des erreurs de design qu’on ne referait probablement plus si on le refaisait une deuxième fois. On a eu beaucoup de retours positifs sur les réseaux sociaux mais il y avait peu de joueurs vraiment impliqués sur le blog : on devait être une communauté d’une trentaine de personnes, or vous ne pouvez pas aller hyper loin avec ça.
Quel est pour vous la différence entre votre newsgame et un advergame de marque ?
La grande différence entre ce que je fais moi quand je fais Primaires à gauche et ce que fait une agence de communication quand elle fait un advergame c’est que moi mon client c’est l’utilisateur final et que l’agence son client c’est l’annonceur et que ce qu’elle vend, c’est l’utilisateur final. Donc la logique est exactement l’inverse et les objectifs du game design sont complètement inversés.
Juste pour essayer de comprendre un peu comment a pu naitre la gamification, je voudrais avoir votre avis sur la nouvelle place qu’ont pris les jeux vidéo en ce moment dans notre société actuelle. On voit aujourd’hui que plus de 60% des français jouent à des jeux-vidéos et que plus de la moitié sont des femmes. Comment expliqueriez-vous cette nouvelle importance prise par le jeu vidéo dans notre société ?
Il y a juste une chose, c’est que le jeu est encore considéré dans notre société comme une activité triviale. Effectivement le jeu peut être considéré comme du divertissement, mais moi mon point de vue c’est que ça peut être aussi autre chose que du divertissement, ça peut être de l’apprentissage par exemple. Quand vous voyez un enfant qui empile des cubes certes il est en train de jouer mais il n’est pas en train de se divertir, il n’est pas en train de tromper l’ennui. Pour un petit enfant je parle… Il est en train d’apprendre en jouant, il est train d’expérimenter le système, de voir comment les règles du système marchent, de l’intégrer pour avoir des schémas mentaux.
Après, la question du divertissement dans l’absolu parce qu’il ne faut pas se poser les questions du sens de la vie, elle existe aussi. Et il y a un bouquin de Neil Postman, un théoricien des médias américains, qui s’appelle Se distraire à en mourir, c’est exactement ça ! En gros, il dit que notre rapport à l’information c’est de la distraction : qu’est-ce qu’on a besoin de savoir dans la seconde qu’il y a eu un tremblement de terre à l’autre bout du monde ? A part pour se divertir, pour se dire pendant 5 minutes : « tiens il y a eu un tremblement de terre » et éventuellement en discuter à la machine à café. Mais au final, est-ce que c’est de l’information pour nous ou est-ce que c’est du divertissement ? Moi je pense qu’il y a une question de divertissement là dedans. Avoir l’info toujours plus vite et puis demain on en parle plus, tout ça c’est bien la preuve que l’information n’est pas très profonde.
Pour moi il y a bien une angoisse de la société qui est de plus en plus importante et qui est propice au développement du divertissement. Je ne sais pas d’où elle vient vraiment, même si à mon avis ça doit être une question du sens de la vie qui est de plus en plus dur à trouver dans les sociétés modernes telles qu’elles s’organisent dans les pays développés. Parce que quand vous devez faire 10 bornes pour aller chercher de l’eau, le sens de la vie vous n’avez pas vraiment besoin de savoir où il est… C’est la fameux mème que vous connaissez peut être First World Problems ?
Non je ne vois pas…
C’est par exemple une femme qui se prend la tête en disant : « oh la la, je ne peux pas manger des chips devant ma télé parce que ça fait trop de bruit, j’entends pas ce qu’il se dit » (rires)
Donc, la place sans cesse grandissante du jeu qui n’est que divertissement au sens pascalien du terme, pour m’éviter de penser que ma vie n’a pas de sens et que je vais mourir, c’est sûrement vrai ! Et ça s’appelle des antidépresseurs en fait. Du coup c’est un petit peu dérangeant… Je pense que la nouvelle place du jeu dans la société c’est clairement un antidépresseur pour le vague à l’âme de la société moderne, mais que ce n’est pas une raison pour que ça ne reste que ça. Du coup, il faut peut être amener les gens à changer d’avis sur ce que ça veut dire de jouer et que jouer ça n’est pas forcément qu’une activité vaine : ça peut être aussi quelque chose qui vous fait réfléchir comme l’art en général, sur ce le sens de la vie, sur ce que c’est que la mort, l’amour etc.
Là vous parlez en termes philosophiques : l’art comme le jeu vidéo peut nous faire réfléchir… Mais il y aussi une utilité pragmatique du jeu, c’est justement tout l’intérêt de la gamification. Parce qu’au final les newsgames, les advergames et les dispositifs gamifiés en général ne sont jamais créés dans un intérêt purement spéculatif, il y a toujours un but concret qui est soit de transmettre un message, soit de faire apprendre quelque chose ou d’inciter à un comportement dans le cas des marques.
Oui mais dans certaines tendance artistiques c’est la même chose : les portraits du Quattrocento ce sont certes des portraits d’une maestria incroyable mais ce sont des portraits et leur sens premier c’est juste de vous rappeler la tête de votre arrière cousin qui habite à 300 km d’ici.
Oui c’est comme les vitraux dont l’utilité première était d’apprendre la Bible aux illettrés.
Absolument ! En général, il y a toujours un Calvaire du Christ dans une église et c’était pour ça.
Mais en fait, moi, j’en fiche de savoir si les jeux vidéo sont un art ou pas. Si vous vous intéressez à cette question vous verrez que les gens s’étripent sur ce sujet. Ce qui m’intéresse, moi, c’est de dire que la forme médiatique du jeu vidéo peut avoir une prétention similaire à certaines oeuvres d’art dans le sens où il peut non seulement vous divertir, non seulement faire naître en vous des émotions mais aussi avoir un but, un objet précis dessiné par le designer qui peut être soit de l’information, soit du développement du sens logique, soit de l’incitation etc. etc.
J’ai un ami qui a fait un jeu vidéo, Dragon Box. Il y a deux écrans, d’un côté on a des monstres, et de l’autre on a d’autres monstres. Il faut déplacer les monstres d’un côté à l’autre et laisser un monstre tout seul d’un côté. Ça semble être un petit jeu comme ça, mais en fait vous êtes en train de résoudre des équations du second degré.
Mais c’est ça la beauté de la gamification, c’est de résoudre des problèmes sans forcément s’en rendre compte ! Déjà c’est réussir à attirer les gens et ensuite de leur faire comprendre ou les pousser à agir mais de façon détournée. Ca me fait penser au jeu Codeacademy, dont vous parlez d’ailleurs dans un de vos articles : le code c’est très compliqué, c’est très barbant à apprendre mais là on se laisse prendre au jeu. Ils arrivent à vous transformer quelque chose de barbant en une chose sympa, agréable et qui donne envie de continuer.
Et sympa parce que c’est designé de façon à faire générer de la dopamine. Vous faîtes un petit truc simple, vous réussissez, vous êtes content, votre cerveau génère de la dopamine. Du coup, on essaye encore, on fait quelque chose d’un tout petit peu plus compliqué et on maitrise encore donc on produit encore de la dopamine. C’est ce qu’explique Raph Koster dans A Theory of Fun : c’est comme ça que marche notre cerveau pour nous pousser à apprendre !
Mais c’est pour ça aussi que c’est dangereux. Les game designers ont une grosse responsabilité. Et s’il faut qu’il y ait une éthique du game design, c’est parce qu’il y a une partie de tout ça qui est incontrôlable, qui est de l’ordre de la chimie du cerveau et qui donc peut se faire à l’insu de la personne. Après, il y a des gens qui ont des prédispositions plus ou moins fortes, mais c’est comme ça que certains se ruinent au casino parce qu’ils ne peuvent pas s’empêcher de jouer alors qu’ils savent qu’ils ne devraient pas.
Ensuite, pour en revenir à la nouvelle place des jeux vidéo, ce qu’on a pas dit c’est qu’il y a simplement une évolution technologique. Le jeu vidéo a été inventé dans les années 60 et la grande différence entre avant et maintenant, c’est que maintenant il existe !
C’est-à-dire…
Florent MAURIN : Hé bien c’est-à-dire qu’au début il y a avait quelques milliers de machines qui étaient vendues dans le monde et que maintenant dans le premier mois d’exploitation vous avez des millions de machines qui sont vendues. Aujourd’hui, technologiquement, il y a de la production en série.
Oui et en plus, c’est ce que j’explique dans mon mémoire, c’est qu’aujourd’hui on a une socialisation et une casualisation des jeux vidéo. Avec une ouverture de l’offre et des thématiques de jeux et une jouabilité beaucoup plus accessible qu’avant. Et je pense que ça joue aussi énormément dans la nouvelle importance du jeu vidéo aujourd’hui.
Tout à fait et c’est ce que dit Anna Anthropy dans son livre Rise of the Video Games Zinesters où elle encourage tout le monde à faire des jeux. C’était une de mes chroniques dans Antibuzz cet été. Elle dit : « pendant des années et des années, les jeux vidéo on été faits par des mecs entre 25 et 40 ans passionnés de lectures de Tolkien etc. » Forcément, ça a façonné énormément le public auquel on s’adresse.
Alors on a parlé de la nouvelle place du jeu vidéo dans les usages mais est-ce que vous croyez qu’il y a eu en parallèle une évolution de l’opinion publique…
Non ! (rires) Parce qu’il y a un gros problème d’éducation aux jeux vidéo, comme tous les médias, il faut de l’éducation à la télé, de l’éducation à la presse… et de l’éducation aux jeux vidéo. Moi, à chaque fois que je parle avec des instituteurs de jeux vidéo, j’ai l’impression que je leur parle de l’Antéchrist. Ils me disent : « ça empêche les enfants de travailler, ça les rend débiles etc. ». Alors qu’ils le pensent ca n’est pas grave, mais qu’ils n’en parlent pas avec les enfants alors qu’ils sont censés les éduquer entre autres aux jeux vidéo ; alors qu’ils sont censés leur donner un regard critique sur les jeux, leur dire de ne pas jouer à n’importe quoi… là c’est problématique.
Mais ça, ça n’est pas encore possible car il y a une méconnaissance de ce que ça peut être le jeu vidéo. Il faudrait commencer à comprendre qu’il faut développer en urgence une éducation de ce qu’est le jeu vidéo. Alors, bien sûr, je ne dis pas de faire des cours sur le jeu vidéo, je dis juste qu’il faudrait interpeller les enfants pour les aider à construire un regard critique autour de leurs pratiques : comment le game design a été pensé, quel est le message, où est-ce qu’on m’amène dans le jeu vidéo ?
Et j’irais même plus loin : je pense que des jeux comme World of Warcraft, Minecraft qui sont à l’origine de nombreux problèmes entre parents et enfants, ont leur place dans les salles de cours. L’idéal ce serait que les profs jouent avec les enfants à des jeux qui sont addictifs, violents, à des jeux qui sont considérés comme dangereux.
Pour quoi exactement ?
Pour les accompagner ! Qu’est-ce qui est dangereux ? Ce n’est pas que votre enfant passe 10 heures par jour à jouer à GTA alors qu’il n’a que 12 ans ; c’est que vous le laissez faire tout seul, que vous ne soyez pas là pour lui dire : « porte un regard critique sur ça, prend un peu de distance par rapport au jeu ». Ce qui est dangereux ce n’est pas que votre enfant regarde un film violent, ce que vous ne soyez pas là avec lui et qu’il ne puisse pas vous en parler et vous demander ce qu’il lui a fait peur, ce qui lui a posé des problèmes etc. Donc c’est une question de responsabilité. Et quand les parents vous disent : « les jeux vidéo, c’est le mal », en fait ils se déchargent de leur responsabilité de parents qui est de faire attention à ce que fait leur enfant. Quand votre enfant tombe parce que ces lacets ne sont pas faits vous n’allez pas dire : « c’est de la faute des lacets, c’est le mal ». Non, vous allez l’accompagner, lui montrer que s’il les faits d’une façon ils vont se défaire et il va tomber mais s’il les faits bien ils vont tenir. Pour les jeux vidéo c’est pareil, c’est juste un principe de base de l’éducation.
Mais c’est aussi une question d’éducation des parents parce qu’ils ne connaissent pas ou peu l’univers des jeux vidéo.
Oui, et c’était pareil pour la bande dessinée. La bande dessinée jusque dans les années 50/60 était considérée comme quelque chose d’abrutissant et sans aucune valeur. Maintenant la génération qui a grandi avec Pilote, Spirou etc. est adulte et on voit que le statut de la bande dessinée a complètement changé : on parle de « roman graphique », on a le Festival d’Angoulême… Maintenant tout le monde reconnait qu’il y a des BD qui sont nobles.
Oui ça me fait penser à l’évolution du cinéma qui au début était complètement décrié et qui a acquis ses lettres de noblesse au fil du temps. Il lui a fallu a peu près 60 ans avant d’être perçu comme légitime et comme objet culturel, le jeu vidéo a 40 ans maximum. Mais je pense qu’on est sur la bonne voie quand on voit les dernières expositions comme Game Story au Grand Palais
Oui, le fait qu’il y ait des expositions c’est bon signe.
Et du coup on peut, peut-être, imaginer que dans 30/40 ans ces problèmes là dont on parle n’existeront plus.
Oui, j’espère. En fait, je ne suis pas en train de dire que le jeu vidéo ça ne rend pas violent : après 2h passées à un jeu comme Call Of Duty Black Ops, on en ressort un peu sur les nerfs. Mais c’est la même chose quand on vient de regarder un film d’horreur. Donc effectivement, les jeux vidéo, parce qu’ils sont immersifs, parce qu’ils sont interactifs, ont un effet sur la psyché, sur la chimie du cerveau. Il ne faut pas nier ça. Ce que je dis moi c’est que la confusion entre la fiction et la réalité dans le jeu vidéo se fait parce que l’enfant n’a personne avec qui exprimer ses angoisses, ses fantasmes, exprimer tout ce qui peut habiter sa vie intérieure après avoir joué.
Parfois, les jeux vidéo deviennent fous. Ils sortent de leurs sentiers battus depuis 50 ans, délaissent leurs trolls, leurs aventurières girondes, leurs plombiers en salopette mangeurs de champignons, et s’aventurent sur un territoire inexploré : le réel. Après tout, pourquoi pas : rien dans la définition des jeux vidéo ne les condamne à la trivialité. Mais ils ne se renient pas pour autant complètement : ils restent des jeux, des univers régis par des règles, qui évoluent en fonction des actions de l’utilisateur. Ils proposent alors une représentation (aussi appelée modélisation, car elle fait appel à la programmation) du réel, une « certaine vision » de celui-ci ; en cela, ils deviennent des jeux-documentaires.
En proposant à l’utilisateur, le temps d’une partie, d’endosser un rôle qui n’est pas le sien, les jeux vidéo documentaires misent sur l’empathie pour provoquer la réflexion. En tant que joueur, je fais des choix, et le système me présente leurs conséquences. Pour « gagner » la partie, je dois comprendre la situation du personnage que j’incarne et essayer de prendre les meilleures décisions – c’est-à-dire celles que le créateur du jeu, ou « game designer » (l’« auteur », pour reprendre le langage du documentaire) a jugé les plus opportunes. En ce sens, les jeux-documentaires ne sont jamais des simulations, des représentations réalistes de la vie dans toute sa complexité. Ils ne prétendent pas vraiment me mettre « dans la peau de », ni refléter le réel dans toute sa complexité. Ce sont plutôt des catalyseurs de l’attention, des outils de problématisation qui me posent des questions que je ne me poserais pas seul. Qui me proposent non pas de vivre, mais de réfléchir sur d’autres vies que la mienne.
C’est notamment le but d’un récit interactif comme Envers et contre tout. Dans ce jeu, produit par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, on incarne un opposant à un régime militaire, contraint de fuir son pays pour ne pas finir en prison. Les épreuves affrontées sont nombreuses : interrogatoire musclé, fuite précipitée en pleine nuit, arrivée dans un pays étranger et hostile, difficultés d’intégration…
A chacune des douze étapes du périple, un mini-jeu demande de faire des choix, alors même que, comme le personnage qu’il guide, le joueur n’a pas toutes les données du problème en main. A la moindre erreur, la sanction est sans appel : c’est le « game over », qui provoque un puissant sentiment d’injustice. La réussite, elle, est récompensée par l’accès au niveau suivant, mais aussi à des documents pour en savoir plus sur la vie du réfugié.
Pour autant, Envers et contre tout n’est pas entièrement satisfaisant du point de vue du joueur. Il adopte une forme de narration très linéaire, ce qui le rend moins intéressant à rejouer : chaque partie ressemble à la précédente.
Dans le monde du documentaire aussi, la narration linéaire a été remise en question ces dernières années. « Aujourd’hui, dans certains de nos webdocumentaires, nous suivons la piste de la ‘délinéarisation’, revendique Alexandre Brachet, du studio de production de contenus multimédia Upian. Nous tentons de laisser l’utilisateur choisir quel contenu il veut consulter, et quand il veut le faire. Je pense que cela devient un des piliers de l’écriture interactive. » Une question se pose alors : si l’auteur renonce à prendre son public par la main, à le guider à travers son documentaire, comment peut-il être sûr que son travail sera consulté intégralement, et bien compris ?
Sur ce point, les jeux vidéo ont un avantage sur les documentaires. « Si les films et les récits écrits sont très efficaces pour raconter des histoires, détaille le chercheur américain Ian Bogost, les jeux vidéo atteignent leur plein potentiel quand ils modélisent des comportements, quand ils décrivent des processus du monde réel par l’intermédiaire de processus informatiques. Ils s’expriment alors par leurs règles : c’est la rhétorique procédurale » Le travail du documentariste vidéoludique pourrait donc être de rassembler les informations et les témoignages nécessaires pour bâtir une représentation virtuelle crédible du sujet dont il veut traiter. Au joueur, ensuite, d’explorer cette représentation.
Mais il est aussi possible, en restant dans le même registre, d’opter pour un niveau d’abstraction plus grand, et de décrire une période de temps plus large. Ayiti est une tentative de ce type.
Ce jeu en flash est une initiative de Globalkids, une ONG dont le but est d’expliquer à un public jeune des problématiques complexes. Il demande au joueur de planifier, pendant quatre ans, la vie d’une famille de cinq Haïtiens. Chaque personnage est doté de trois caractéristiques à niveau variable : santé, bonheur et éducation.
Or, le budget de la famille est très serré : envoyer le jeune garçon à l’école augmentera son niveau de connaissances, mais sa scolarité coûtera cher, et pendant ce temps, il ne rapportera pas d’argent. Et si le père travaille dur, la famille s’en sortira… jusqu’à ce qu’il tombe malade. Sans cesse, le joueur est confronté à ce genre de dilemmes.
Là encore, c’est tout un système qui est modélisé, sous une forme simplifiée mais efficace et problématisée : la vie quotidienne d’une famille du tiers monde. Et sous un habillage graphique et sonore enfantin, Ayiti est un jeu extrêmement dur. Il n’est pas rare de voir sa famille s’enfoncer dans la misère et parvenir à la fin des quatre années est une gageure. Mais sans doute est-ce, là encore, l’objectif rhétorique visé par les développeurs : faire comprendre l’injustice de la vie de ces populations. D’autant que des événements aléatoires, comme des inondations ou des typhons, viennent encore compliquer la situation.
Du reste, les jeux vidéo documentaires ne se contentent pas de faire découvrir à l’utilisateur des situations qui lui sont étrangères : ils peuvent aussi l’amener à réfléchir sur sa propre condition. C’est par exemple le cas de Phone story, un titre développé pour les smartphones par le collectif d’activistes italiens La Molleindustria. Les premiers niveaux de ce jeu s’intéressent aux conditions dans lesquelles nos téléphones portables sont produits. Il est ainsi demandé à l’utilisateur, dans un premier temps, de malmener des employés dans une mine du Congo pour assure la production de minerai nécessaire au processus industriel, puis de tenter de rattraper au vol des ouvriers se jetant par les fenêtres d’une usine – référence à la vague de suicides qui a frappé le taiwanais Foxconn, sous-traitant d’Apple pour la production de l’iPhone connu pour sa gestion catastrophique des ressources humaines.
Mais les troisième et quatrième niveaux de Phone story interpellent encore plus directement le possesseur de smartphone. Il s’agit, dans un premier temps, de remplacer un vendeur dans un Apple Store tout en réfléchissant à l’emballage marketing qui entoure ces téléphones « intelligents » : en avons-nous vraiment besoin, ou ce besoin nous a-t-il été inculqué par la publicité ? Et enfin, le dernier niveau de Phone story s’intéresse à l’obsolescence programmée des smartphones, et à l’impact environnemental et humain de leur « recyclage » dans les pays du tiers-monde.
Bien entendu, Phone Story étant un jeu programmé pour fonctionner sur un téléphone portable, il est impossible d’y jouer si on n’en possède pas un. Ainsi, le message porté par ce jeu, la critique du réel chevillée à son « gameplay » (l’ensemble de ses règles) est d’autant plus efficace. Si on peut jouer, on ne peut pas ignorer les conditions de production du dispositif technique qui nous permettent de jouer. Une critique au vitriol, difficile à avaler pour Apple, qui a décidé de supprimer Phone story de l’App Store quatre jours après avoir pourtant validé mise en ligne (le jeu est toujours disponible sur l’Android market). Paradoxalement, cette censure ajoute à la pertinence du titre de la Molleindustria en tant que jeu-documentaire.
Comme les documentaires classiques, les jeux-documentaires peuvent donc être des œuvres engagées. Ils peuvent aussi être des productions intimes, à travers lesquelles un auteur s’exprime à cœur ouvert. C’est par exemple le cas de l’ovni Dys4ia. Ce jeu en flash (jouable dans un navigateur Internet) est l’œuvre d’un personnage, Anna Anthropy, une game designer indépendante.
Anna est une transsexuelle, et dans Dys4ia, elle raconte le cheminement qui l’a conduite à prendre des hormones pour modifier son apparence physique et se sentir plus femme. Elle partage avec nous ses états d’âme avant sa décision, le difficile processus thérapeutique, les effets de son traitement, et tire des conclusions. A travers une poignée de mini-jeux, illustrant chacun une étape de sa progression, elle nous embarque dans ses dilemmes, ses souffrances, ses bonheurs… Le tout dans une remarquable économie de moyens, Dys4ia étant un jeu aux graphismes rudimentaires, aux bruitages « faits à la bouche » et aux couleurs acidulées.
Le résultat est une plongée poignante dans sa problématique, renforcée encore par l’interactivité inhérente à la forme vidéoludique. Anna Anthropy aurait pu raconter son histoire par écrit, ou tourner un film ; elle a choisi d’en faire un jeu, et le résultat est une expérience documentaire unique, souvent dure, parfois drôle, toujours honnête et touchante.
« Porter un regard sur le réel » : le credo de la démarche documentaire est partagé par les jeux-documentaires. Seuls la forme et les moyens diffèrent. Là où le documentariste vidéo utilise par exemple le dispositif de tournage, la voix off ou encore le montage pour exprimer son point de vue et poser ses questions, le documentariste vidéoludique a à sa disposition d’autres outils : les règles du jeu, la rhétorique procédurale (pour reprendre l’expression d’Ian Bogost) et l’interactivité. Au lieu d’un discours, il propose une discussion avec l’utilisateur, qui est sollicité pour « répondre » au programme. C’est, en quelque sorte, son avantage comparatif.
Cette forme encore très jeune est appelée à se développer, à acquérir de la finesse, à mûrir pour sortir de représentations du réel parfois encore manichéennes ou simplistes. Mais il y a sans aucun doute là le potentiel pour une démarche documentaire, certes différente, mais néanmoins aussi intéressante que ce que cinéma, radio ou littérature ont permis au documentaire « classique ». Reste à savoir si les documentaristes auront la curiosité de vivre une autre vie que la leur.
Avez-vous déjà entendu parler de Football Manager ? Comme son nom l’indique, ce titre est un jeu de simulation qui vous met dans la peau d’un « manager » de club de foot, un super-entraîneur qui définit la tactique de son équipe, supervise ses entraînements, décide des transferts de joueurs etc. Quand j’ai commencé à jouer à Football Manager, il y a maintenant une bonne dizaine d’années, le jeu était repoussant au possible. Chaque joueur y était décrit sous forme d’une feuille de statistiques rappelant furieusement un tableau excel soviétique, les matches se déroulaient en mode texte uniquement (« Zidane prend la balle au milieu du terrain »… « Zidane passe »… Palpitant, non ?) et la seule satisfaction était de voir le jeune attaquant qu’on avait déniché en quatrième division moldave prendre de la valeur à mesure qu’il progressait sur le terrain.
Et pourtant, si j’ai fini par me séparer de mon CD de Football Manager, ce n’est pas par dégoût. Au contraire. En fait, ce jeu avait sur moi l’effet d’une drogue dure.
Régulièrement, je lançais une « petite partie » à 20 heures pour relever le nez de mon écran le lendemain matin, les oiseaux accueillant ma victoire en ligue des champions de leurs gazouillis. Je jouais avant de partir bosser, je jouais tous les week-ends, je jouais sur mon portable, dans le train, en voiture… Les joueurs réguliers parmi vous reconnaîtront les symptômes que je décris, mais ils ne connaissent peut-être pas le nom de la pathologie. J’étais « pris dans le flow ».
Alors avant d’aller plus loin, petit point théorique. Qu’est-ce donc que ce fameux « flow » aux pouvoirs ensorcelants ?
Le « cognitive flow » (ou « flux cognitif ») est un concept formalisé en 1970 par le psychologue hongrois Mihály Csíkszentmihályi. Selon lui, notre disposition émotionnelle est directement influencée par le rapport entre la difficulté d’une tâche et notre niveau de qualification. Pour résumer, si la tâche est trop compliquée pour nous, nous risquons de ressentir de l’anxiété, et si elle est trop simple, c’est l’ennui qui prédomine. Mais quand nous avons juste le bon niveau de qualification pour accomplir ce qui nous est demandé, nous entrons dans ce fameux état de « flow ».
Toujours selon Csíkszentmihályi, un utilisateur dans le flow est très concentré, il a une impression de contrôle, une sensation de maîtrise, et la conviction que la tâche elle-même, le « défi » qu’elle lui pose, est la seule justification nécessaire à son accomplissement (on parle alors d’activité autotélique). Dans les cas les plus extrêmes, on peut aller jusqu’à une perte de conscience de soi et une distorsion de la perception de l’écoulement du temps.
Le pouvoir de Football Manager est donc de faire naître un état de flow parfait. Comment ce programme réussit-il ce tour de force ? Là encore, tournons-nous vers Csíkszentmihályi. Il a identifié quatre caractéristiques que partagent les tâches propres à nous plonger dans le flow :
on y trouve des buts concrets accompagnés de règles compréhensibles,
les actions qui nous sont demandées pour atteindre ces buts sont en rapport avec nos capacités,
un feedback clair et temporellement pertinent nous est fourni pour nous tenir au courant de l’accomplissement des objectifs,
et les distractions extérieures sont diminuées pour aider notre concentration.
Cette description en quatre points colle effectivement à mon expérience de joueur de Football Manager. Mais maintenant que j’ai arrêté d’y jouer, j’ai pas mal de temps libre, que je passe sur Internet, par exemple pour consulter des webdocumentaires. Faites-moi confiance : la plupart des « webdocs » sont beaucoup, beaucoup plus beaux et abordables que Football Manager. Ils ont souvent des sujets passionnants, un graphisme chamarré, des images léchées, et sont quasi-systématiquement riches en bonnes idées de design. Et pourtant, la durée moyenne de consultation d’un webdocumentaire est aujourd’hui bien basse : très rarement plus d’une vingtaine minutes pour des objets qui abritent souvent des heures de vidéo. Moi-même, pourtant grand amateur de la forme, j’ai souvent été découragé dans ma consultation plus vite que je ne l’aurais souhaité, noyé par un « tsunami d’information » (je tente d’expliquer ce concept par l’exemple dans cette présentation). De nombreux webdocs provoquent chez moi un état d’anxiété (« Il y a trop de choses à voir, je n’ai pas le temps, j’ai peur de rater des éléments importants… ») et n’arrivent donc pas à me plonger dans le flow qui serait pourtant nécessaire à mon immersion dans le propos documentaire.
Bien sûr, les webdocs ne sont pas des jeux vidéo, et il ne s’agit pas de les faire passer pour tels. Mais les travaux de Csíkszentmihályi ne concernent pas particulièrement les jeux : selon lui, toute tâche peut prendre un sujet dans le « flow ». On peut considérer que dans un webdocumentaire, la « tâche » est la consultation, et l’« objectif » est de regarder tous les éléments documentaires mis à disposition de façon non-linéaire.
Par conséquent, posons-nous la question : que peut-on tirer de la théorie du flow pour tenter d’améliorer l’expérience des utilisateurs/spectateurs de webdocumentaires ?
1) Fixer des buts concrets accompagnés de règles compréhensibles
Nous n’avons pas tous la même habitude des objets interactifs, ni la même capacité à « faire plusieurs choses en même temps ». Mais si un trop grand nombre d’informations lui arrivent à la fois, même le « hardcore gamer » de Dr Kawashima est débordé. Pire : si ces informations ne portent pas toutes sur le même sujet, elles entrent en conflit, détournent notre attention, et nos capacités cognitives s’écroulent alors. L’effet est immédiat : frustration, et sortie du flow – adapté au sujet qui nous occupe, ça donne « fermer l’onglet du webdoc pour aller voir des vidéos de lolcats sur Youtube » (nombre de neurones sollicités par cette tâche : 2).
On l’a dit, dans un webdocumentaire, le « but » principal est de consulter les ressources documentaires. Quant aux règles (« comment faire ? »), elles sont communiquées à l’utilisateur par l’interface.
Il est donc nécessaire que le design de celle-ci soit clair. Chacun doit pouvoir comprendre le plus rapidement possible, en se connectant, ce qu’on attend de lui, voire identifier le nombre de sujets à consulter et leur longueur.
Prenons un exemple : Iron Curtain Diaries, un webdoc qui nous propose de nous promener le long du rideau de fer, 20 ans après sa chute. Dès le début de l’expérience, il nous est clairement indiqué, grâce à des pastilles disposées sur la frontière est/ouest, que nous allons visiter 17 endroits. Mais quand on commence à cliquer sur lesdites pastilles, les choses se compliquent.
En effet, selon le lieu exploré, le nombre de sous-contenus à visionner varie grandement. Ce n’est en soi pas un problème, mais rien sur la carte initiale ne nous informe de cette différence (on aurait par exemple pu imaginer des points plus ou moins gros), ce qui complexifie l’expérience utilisateur en troublant son estimation de l’ampleur de la tâche à accomplir.
Gardons en tête que tout utilisateur curieux aura tendance à profiter de la liberté qu’on lui offre. Mais cette liberté est à double tranchant : si le nombre de possibilité est trop élevé, on peut vite se sentir perdu. Concevoir un webdocumentaire délinéarisé ne veut donc pas dire abandonner l’utilisateur dans sa consultation, car s’il est trop souvent amené à se demander ce qu’il « doit » faire, et si l’interface ne lui fournit pas de réponse, la sortie du flow est inévitable.
Par conséquent, organiser les contenus par groupes (dans Iron Curtain Diaries, les villes) est une bonne idée. Cela permet de proposer à l’utilisateur une série d’expériences gratifiantes (« Ça y est, j’ai visionné tout le contenu sur Berlin, maintenant je passe à Gdansk »), et donc d’encourager sa progression dans le webdocumentaire. Mais pour le maintenir dans le flow, il est nécessaire de lui exposer cette organisation clairement, et surtout de souligner sa progression, en lui proposant par exemple une « récompense » à chaque étape accomplie. Dans Iron Curtain Diaries, on aurait ainsi pu imaginer que la complétion d’un « niveau » (avoir vu tous les sous-contenus d’un lieu) donne accès à un item spécifique (une sélection de liens pour aller plus loin, un mot des auteurs…). Il aurait peut-être même été pertinent d’exposer les 17 villes, mais en n’en rendant que quelques-unes accessibles au départ, les suivantes se « déverrouillant » au fil de la consultation (lui donnant ainsi une teinte autotélique, « je regarde des contenus pour pouvoir en regarder d’autres »).
Revenons au cas du jeu vidéo. D’une manière générale, les développeurs évitent de donner au joueur une information importante à un moment où il est activement sollicité par autre chose – par exemple on attirera rarement votre attention sur une nouvelle tâche à accomplir alors que vous êtes en pleine bagarre avec un ennemi puissant, on préfèrera attendre que vous ayez fini votre combat. Quand deux informations se télescopent, elles créent une diversion qui peut avoir un effet catastrophique sur notre attention.
On rencontre pourtant le même genre de conflit dans les webdocumentaires. Amour 2.0 est en la matière un exemple parmi d’autres.
Alors qu’on regarde un sujet documentaire, avec des interviews qui mobilisent notre concentration, des pastilles apparaissent sur la timeline à certains moments pour nous fournir d’autres informations. Certes, ces informations sont liées, mais l’effort nécessaire pour les consulter et se replonger ensuite dans le propos principal n’est pas à la portée de tout le monde. Et même si on choisit de les ignorer, la diversion provoquée par leur apparition constitue un risque de nous sortir du flow dans lequel nous plonge le déroulé de chaque sujet. Les informations des pastilles sont nécessaires, mais il serait probablement plus pertinent de les fournir à la fin de la consultation du sujet. Mieux : si on se reporte au point évoqué précédemment, ces informations complémentaires pourraient jouer le rôle de « récompenses » qu’on obtiendrait avant de retourner au menu général pour choisir un autre sujet à regarder, et qui valideraient par conséquent notre progression.
2) Faire coïncider exigences interactives et capacités de l’utilisateur
Nous l’avons vu, les deux conditions de sortie du flow sont l’anxiété en cas de tâche trop compliquée à accomplir, et l’ennui dans le cas inverse. Pour ce qui est des webdocumentaires, on rencontre le plus souvent le premier cas de figure. Cela est probablement dû à la relative nouveauté de cette forme, et à l’absence d’habitudes du public. Passer d’une forme linéaire, qui est celle du documentaire classique, à une forme non-linéaire, demande un gros effort cognitif auquel nous ne sommes pas encore rompus. Or, si l’utilisateur n’arrive pas à accomplir une tâche, même si elle est claire, alors l’expérience devient frustrante : le stress généré affecte le flow, et par conséquent l’envie de persévérer dans la consultation du webdoc.
Bien entendu, tout le monde n’a pas le même niveau de « qualification », les mêmes réflexes devant un objet interactif. Dans les jeux vidéo, ce problème est traité de plusieurs façons. Il n’est pas rare de pouvoir choisir, en début de partie, la difficulté à laquelle on souhaite être confronté. Et de plus en plus, grâce à la programmation, l’intelligence artificielle qui nous met au défi dans un jeu s’adapte dynamiquement à nos performances de joueur.
Difficile pour le moment d’imaginer aller aussi loin dans une structure de webdocumentaire. Néanmoins, il est possible de proposer à l’utilisateur plusieurs modes de consultation. Prison Valley, par exemple, existe dans une forme linéaire tout à fait habituelle et accessible au grand public (le niveau « facile »), mais aussi sous la forme d’un objet web qui propose la même histoire, mais enrichie de « décrochages » vers des sujets annexes, que l’utilisateur est libre de visionner ou non (le niveau « moyen »). Et le programme a même proposé pendant quelques mois une animation éditoriale, dans la quelle il était possible de se connecter à certaines heures pour poser en direct des questions aux auteurs et à certains protagonistes du documentaire (le niveau « difficile », nécessitant un engagement très important de l’utilisateur).
Il existe aussi d’autres moyens de prendre en compte les capacités de l’utilisateur, voire de l’amener à « progresser » au fil de sa consultation. On peut par exemple hiérarchiser les contenus qu’on propose en fonction de leur accessibilité : l’utilisateur peut d’abord regarder des modules vidéo courts (expérience simple pour qui a déjà été sur Youtube), puis d’autres plus long, puis consulter des diaporamas dynamiques, manipuler des infographies interactives, jouer à un « newsgame » portant sur le sujet du documentaire (expérience potentiellement complexe pour qui n’a jamais joué à un jeu vidéo)… Et à chaque nouvelle étape, à chaque nouvelle expérience proposée, un petit « didacticiel » peut expliquer à l’utilisateur ce que le module attend de lui. Ainsi, l’utilisateur a le sentiment de progresser dans sa maîtrise de l’objet interactif au fur et à mesure qu’il progresse dans le propos documentaire. On trouve un bon exemple de cette progression par étapes dans des webdocs comme l’excellent Lazarus Mirages, où chaque nouvelle pastille comporte un nouveau « défi » interactif.
On peut aussi tenter d’utiliser des codes déjà maîtrisés par tous les utilisateurs comme outils de médiation pour les amener vers une forme plus compliquée et inhabituelle. C’est la direction choisie par Gol ! Ukraine#2012 qui reprend, avec ses présentateurs, un dispositif très classique à la télévision mais peu utilisé sur le web. Les deux personnages, Oleg et Katya, sont là pour accueillir, guider et rassurer l’internaute dans sa consultation en s’adressant directement à lui. Ils introduisent aussi chaque sujet documentaire par des lancements, qui rappellent ceux du journal de 20 heures et sont d’importants éléments de contextualisation, nécessaires à la préservation du flow.
Un webdocumentaire est avant tout un objet interactif, ce qui veut dire qu’une partie importante de la construction de sens se fera directement dans le cerveau de l’utilisateur. Si je clique ici après avoir cliqué là, si je vois les sujets dans tel ordre plutôt que dans tel autre, à moi de tisser le fil rouge qui reliera les éléments et fera émerger, chez moi, le propos général de l’auteur. A moi de « comprendre » ce que me dit l’objet interactif.
Or, il est extrêmement délicat pour un designer d’anticiper la perception qu’aura un internaute lambda de son expérience interactive. Et il est pourtant capital de prendre cette perception en compte, car elle est la première composante du propos porté par le webdoc. Sans parler du risque de rejet pur et simple auquel on s’expose en proposant une expérience trop désorientante. C’est pour cette raison que, de même qu’un jeu vidéo, les mécaniques interactives d’un webdoc devraient idéalement être conçues par itérations et testée (ou « playtestées, pour reprendre le vocabulaire du JV) auprès d’un échantillon représentant votre public cible.
Dans les jeux vidéo, les playtests arrivent très tôt dans le développement : il n’est pas rare de tester des mécaniques de jeu à l’aide de prototypes en papier, avant même que la moindre ligne de code ait été écrite. La même méthode peut être appliquée à un webdocumentaire, et il existe de nombreux outils permettant ensuite de réaliser à moindre coût, tout au long de la production, des maquettes interactives à soumettre à des utilisateurs capables de porter un regard vierge sur votre objet. C’est probablement le moyen le plus efficace de déceler ce qui fonctionne, le niveau d’investissement que vous pouvez demander à votre public, et d’éviter ainsi de lui proposer un objet à l’interactivité trop complexe qui le sortira du flow.
3) Mettre en place un système de feedback clair et temporellement pertinent
En proposant un mode de consultation non-linéaire, les webdocumentaires prennent un risque. Ce que la consultation gagne en liberté (« Je clique où je veux »), elle le perd en clarté (« Où dois-je cliquer ? »). C’est pourquoi il est essentiel, si on ne veut pas perdre l’utilisateur (aux deux sens du terme), de l’aider à s’y retrouver dans sa consultation, à savoir à tout moment ce qu’il a déjà vu et ce qui lui reste à voir, et à comprendre les effets de ses actions.
Encore une fois, les jeux vidéo sont un bon exemple : ils sont généralement riches en retours de toutes sortes qui font comprendre au joueur que son action a bien été prise en compte. Si on attaque un ennemi, une animation nous informe que notre coup a porté, si on court, le bruit des pas de notre personnage s’accélère, et quand on arrive à effacer quatre lignes d’un coup à Tetris notre compteur de score s’affole, nous indiquant sans l’ombre d’un doute que nous avons accompli un objectif important.
Cet art du feedback, antidote au sentiment d’égarement dans la consultation d’un objet interactif complexe, peut aussi, bien sûr, être appliqué aux webdocumentaires. Quelques systèmes très simples ont déjà fait la preuve de leur efficacité, comme l’effet de grisé et la petite mention « vu » qui apparaissent dans Vies de Jeunes pour signaler les vidéos déjà consultées.
Évidemment, par l’intermédiaire du code, rien n’empêche de fournir à l’utilisateur des retours un peu plus fins sur sa consultation. Dans Gol ! Ukraine#2012, par exemple, si un internaute revient au menu général sans avoir regardé un sujet documentaire jusqu’au bout, le présentateur s’adressera à lui pour regretter (avec humour) que le sujet ne lui ait pas plu et l’encourager à en regarder d’autres. En allant plus loin, on pourrait concevoir un système analysant les choix de l’utilisateur et lui fournissant un feedback conditionnel, l’encourageant à consulter telle vidéo puisqu’il a déjà vu telle autre et que les deux sujets sont liés.
Ces retours sur les actions de l’utilisateur servent donc à le rassurer mais aussi à l’interpeller, à lui donner le sentiment que son expérience de consultation du webdoc est sinon unique, au moins personnelle. Ils permettent ainsi de le maintenir plus efficacement dans un état d’implication élevé, et donc de flow.
D’autre part, les webdocumentaires sont souvent des objets riches de plusieurs heures de contenus. S’il est pertinent de fournir un feedback « micro » (sur ce que l’internaute vient de faire), il peut aussi être utile de l’aider à avoir une vision « macro » (sur son niveau d’avancement dans l’«univers » du webdocumentaire). On peut par exemple penser à une jauge de progression générale, à un pourcentage de « complétion », voire, pourquoi pas, à une ressource graphique qui se révèlerait à la manière d’un puzzle, au fur et à mesure de l’avancée de l’utilisateur
Pour être vraiment efficaces, ces feedbacks doivent remplir trois conditions :
Ils doivent apparaître tôt dans la consultation, pour que l’utilisateur se familiarise et comprenne rapidement leur intérêt.
Ils doivent apparaître au bon moment : soit directement après l’accomplissement d’une « tâche » (à la fin d’une vidéo par exemple), soit à mi-chemin dans l’accomplissement de cette tâche.
Ils doivent être persistants d’une visite à l’autre. Quand un webdocumentaire nous plaît, il arrive qu’on y revienne, mais il est plus rare qu’on se souvienne exactement de quelle partie on a déjà vu. Un système de sauvegarde de la progression (cookie, Facebook connect, inscription…) est dès lors précieux.
4) Réduire les distractions extérieures
De même qu’il n’est pas simple de traiter plusieurs informations en même temps au sein d’un webdocumentaire, il est délicat de consulter un objet aussi complexe dans un environnement visuel « pollué » par des stimulis extérieurs. La question de l’intégration du webdoc dans le site web qui l’héberge est donc essentielle. La plupart de ces objets bénéficient d’un mode « plein écran », qui a pour avantage d’aider l’utilisateur à se concentrer sur le propos documentaire. Mais ce mode n’est pas activé par tous les utilisateurs. Il est donc nécessaire d’éviter autant que possible les bandeaux de pub, liens sortants, ou dispositifs d’info en live qui sont souvent présents sur les pages des diffuseurs. De même, la qualité du flux vidéo est une donnée essentielle. Un streaming sans cesse interrompu par un témoin de chargement, ou une compression qui détériore trop l’image sont autant de dangers pour le flow de l’expérience. Heureusement, les accès Internet à haut débit ont tendance à limiter ces risques.
Pour les mêmes raisons d’immersion et de lutte contre les distractions, il est souhaitable, pendant la consultation d’une vidéo documentaire, que l’interface se fasse la plus discrète possible. Quand le pointeur de la souris de l’utilisateur est inactif, les boutons de pause, de retour au menu, et barres de progression peuvent disparaître, laissant libre place au film. C’est particulièrement souhaitable pour les éléments animés de l’interface, l’œil humain étant naturellement attiré par le mouvement. D’ailleurs, à l’inverse, si vous souhaitez indiquer à l’utilisateur une fonctionnalité particulière de votre interface, animer le pictogramme de celle-ci peut être une bonne solution.
Il faut aussi savoir dans quel contexte votre webdocumentaire va être consulté. Bien souvent, l’utilisateur va s’y connecter pour la première fois sur son ordinateur de travail, pendant une pause par exemple. Pas question alors, pour lui, d’y passer du temps. Il est par conséquent nécessaire de lui permettre de retrouver votre contenu plus tard, facilement, quand il aura moins de risques d’être « distrait » (si tant est qu’on puisse être distrait par son travail !) et donc de sortir de son état de flow.
Evidemment, le mode de consultation idéal d’un webdocumentaire semble être sur un dispositif mobile comme une tablette, son propriétaire confortablement installé sur le canapé du salon. Mais il est encore un peu tôt pour miser exclusivement sur ce modèle de diffusion : actuellement, le taux d’équipement des Français dépasse à peine 6%. Il faut donc trouver des moyens alternatifs d’amener l’utilisateur à revenir se connecter de son ordinateur personnel (en attendant que la télévision connectée permette de consulter des webdocs en famille). On peut par exemple lui proposer de laisser son adresse e-mail pour lui envoyer le lien d’accès (prévoir dans ce cas un envoi en dehors des heures de bureau). Là encore, l’expérience de Lazarus Mirages, qui a diffusé son contenu en épisodes avec une relance aux personnes inscrites pour chaque nouvelle mise en ligne, s’est montrée plutôt efficace. Les réseaux sociaux peuvent aussi être de puissants vecteurs de reconnexion.
Conclusion :
Le webdocumentaire est une forme encore jeune : de nombreuses choses restent à inventer, les usages ne sont pas encore clairement définis, et chaque nouveau projet qui voit le jour apporte son lot d’innovations. Si les webdocs ne sont pas des jeux vidéos et n’ont pas vocation à le devenir, s’ils ne fonctionnent pas sur les mêmes mécaniques, si les utilisateurs n’ont pas les mêmes motivations initiales, ces deux médias partagent néanmoins de nombreuses similitudes, à commencer par leur nature profondément interactive. Et c’est sans aucun doute l’art de la maîtrise du flow qui permet aux bons jeux vidéo de captiver des heures durant les joueurs, vissés sur leur chaise devant leur ordinateur ou leur console de jeu. En s’inspirant des leçons de son vénérable aïeul (le premier jeu vidéo date du début des années 60 !), le webdoc peut lui aussi devenir un média puissant, impliquant, portant au mieux le regard sur le monde des documentaristes du XXI siècle.
C’est maintenant devenu un passage obligé : à chaque élection présidentielle, nombreux sont les sites d’information qui proposent à leurs lecteurs un quiz pour déterminer de quel programme, et donc de quel candidat, ils se rapprochent le plus. Lemonde.fr s’était par exemple déjà soumis à l’exercice en 2007, avec De quel programme êtes-vous le plus proche ?
En tant que concepteur de newsgames, j’ai pour le quiz un sentiment ambivalent. D’un côté, je reconnais bien volontiers son efficacité : c’est une forme à la fois ludique et simple à mettre en oeuvre, et même si elle implique parfois une simplification outrancière des problématiques, elle permet aussi d' »accrocher » l’attention des lecteurs sur des sujets d’habitude pas forcément très abordables (le contenu des programmes électoraux étant un bon exemple).
Mais le revers de la médaille est justement qu’un quiz n’est pas une forme de jeu très expressive en soi : on peut en faire sur tout et n’importe quoi, et en jouant sur les règles de calcul, leur faire dire n’importe quoi aussi. Enfin, je suis personnellement lassé des quiz simples, et je pense que la majorité des lecteurs de presse le sera aussi bientôt, si ce n’est pas déjà fait.
J’ai donc proposé au Monde.fr, à l’occasion de l’élection présidentielle de cette année, un projet un peu différent, qui a encore évolué au fil de son développement.
L’idée de départ était simple : là où, habituellement, les quiz, tests et autres vous proposent seulement de vous situer personnellement sur une question, je souhaitais concevoir une application qui amène l’utilisateur à s’interroger non seulement sur sa position, mais aussi sur celle des personnes l’entourant – en l’occurence, la communauté des lecteurs du Monde.fr.
Il a d’abord fonctionné comme un quiz classique. Choisissant les réponses à 27 questions, parmi une liste de propositions reflétant les positions des présidentiables, chaque utilisateur dessinait son propre profil politique. En utilisant un système de pondération des propositions détaillé dans ce document, que nous avions conçu en décortiquant les programmes, nous étions alors en mesure de lui indiquer les candidats dont il était effectivement le plus proche.
Jusque là, rien de très nouveau. Mais nous avons implémenté dans cette structure connue plusieurs éléments de design rendant notre application plus expressive qu’un quiz classique :
L’utilisateur était invité à estimer, sur une échelle allant de une à cinq étoiles, l’importance qu’il accordait à chaque question dans le débat politique. Par cette « notation », il nous donnait une idée de ses priorités (en étant lui-même amené à y réfléchir). Ainsi, là où, habituellement, dans un quiz, chaque question « pèse » le même poids, ce principe nous permettait de fournir à chaque utilisateur une réponse plus fine, « sur-mesure ».
Les questions étaient regroupées en cinq grandes thématiques. Le quiz devenait ainsi un objet éditorial à part entière, permettant à Hélène Bekmezian, la journaliste du Monde.fr qui a rassemblé et sélectionné les propositions et éléments de programmes, de présenter aux utilisateurs une grille de lecture de la campagne plus structurée. Autre avantage : en ponctuant l’expérience de l’utilisateur d’un retour régulier (à la fin de chaque thématique, c’est à dire au bout de 5 questions, on vous indique les candidats desquels vous êtes proche sur ladite thématique), nous mettions en place une boucle de feedback favorisant son implication et l’encourageant à aller au bout du quiz.
Après avoir consulté ses propres résultats, l’utilisateur avait accès à une base de données statistiques indiquant la popularité du programme de chaque candidat auprès de l’ensemble des participants au quiz. Cette base était bien évidemment constituée de façon anonyme, mais elle étaient néanmoins triable par sexe et par tranche d’âge. L’utilisateur était donc libre de regarder quel candidat séduisait le plus les participants de 18-25 ans, quel était le score d’Eva Joly auprès des femmes de 60 ans et plus, etc. Dès lors, nous sortions notre application du rôle habituel du quiz (donner des informations sur soi-même) pour en faire un objet convoyant sa part d’information propre (comment les sensibilités politiques sont-elles réparties au sein de la communauté des lecteurs du Monde.fr ?)
Au bout de deux semaines d’existence du quiz en ligne, nous avions une base de données riche des participations de plus de 60 000 lecteurs. Et comme notre but était aussi de faire réfléchir les utilisateurs sur la perception qu’ils avaient des attentes de leurs concitoyens, nous avons utilisé cette base de données comme matière première à un newsgame.
Tout d’abord, nous nous sommes penchés sur l’importance accordée à chaque question par la communauté des lecteurs. Avec une note moyenne de 2,7/5, « Comment améliorer la situation socio-économique des départements et régions d’Outre-mer ? » était par exemple la question la moins prioritaire, au contraire de « Comment combattre le chômage ? » (4,2/5). Nous avons ainsi choisi 10 questions, deux pour chaque thématique, réparties tout au long de ce classement d’importance, de manière à composer une sorte de quiz « best of ». Les notes de ces questions ont ensuite été « étalées » entre 2 et 5 étoiles.
Nous avons ensuite associé à chaque réponse proposée le pourcentage d’assentiment qu’elle avait recueilli auprès des lecteurs du Monde.fr. Voici un exemple :
Comment faut-il réformer notre système électoral ?
Il faut introduire une dose de représentation proportionnelle, au moins pour les élections législatives
28,5 %
Il faut une représentation proportionnelle intégrale à toutes les élections
11,7 %
Les résidents étrangers doivent pouvoir voter, au moins pour les élections locales
27,9 %
Il faut que le vote soit obligatoire et que le vote blanc soit reconnu
31,9 %
En proposant aux utilisateurs de deviner ces données, nous voulions provoquer un changement de point de vue, les amener à prendre un peu de recul et à ne pas considérer l’élection à travers le prisme unique de leur sensibilité politique personnelle.
Nous leur avons donc soumis ce nouveau quiz de 10 questions, mais en leur demandant, cette fois, d’estimer l’importance que l’ensemble des lecteurs du Monde.fr avait porté à chaque question, et les réponses qui avaient séduit le plus de monde.
Il nous restait à mettre en place un système de score qui validerait les « qualités de politologue » des participants. Il a été établi comme suit :
Chaque question vaut 100 points : 25 points pour l’évaluation de l’importance de la question et 75 points pour la réponse choisie.
Pour l’évaluation de la question, le joueur obtient 25/25 s’il choisit la bonne note, 10/25 s’il choisit une note éloignée d’un cran de la bonne note, et 0 point sinon.
Pour le choix de la réponse, le joueur obtient :
– 75 pts s’il choisit la réponse la plus populaire
– (pourcentage obtenu par la réponse choisie)/(pourcentage obtenu par la réponse la plus populaire)*75 pts s’il choisit une autre réponse.
Le score total est donc exprimé sur mille points max.
Evidemment, l’utilisateur ayant étudié avec attention les statistiques du quiz présentées ci-dessus pouvait avoir une bonne idée des programmes les plus populaires, et tenter de retrouver ceux-ci pour obtenir un score important.
Ce newsgame a fonctionné au-delà de nos espérances, donnant lieu à de très nombreux partages de scores sur les réseaux sociaux et amenant, en conséquence, de nouveaux utilisateurs à répondre aux 27 questions du quiz « classique ».
Au final, quiz et newsgame confondus, plus de 450000 questionnaires ont été complétés sur notre application en 4 semaines, un résultat très satisfaisant. Et si ce sont les propositions de François Hollande qui arrivent en tête, celles de Marine Le Pen sont renvoyées tout en bas du classement, devançant seulement celles de Jacques Cheminade. Un résultat en contradiction avec le bon résultat de la candidate du Front National à l’élection, qui laisse à penser, si toutefois les électeurs ont voté en fonction des programmes, qu’elle n’a pas récolté un grand nombre de voix parmi les lecteurs du Monde.fr.
Le sens premier du mot « unmanned », en anglais, est « sans équipage ». Et en effet, voici un étrange jeu qui vous propose de vivre une journée dans la peau d’un contrôleur de drone militaire, ces avions sans pilotes prétendant faire de la guerre une activité « propre ». Vous êtes donc un soldat qui ne voit plus le terrain « en vrai » et contrôle son appareil au joystick, les yeux rivés sur un écran. Vous jouez à « être » un personnage dont le métier ressemble à un jeu vidéo, et nous allons le voir, ce n’est pas le seul parallèle entre votre place et la sienne.
« Unmanned », c’est aussi « abandonné des hommes », « désincarné ». Un qualificatif qui va comme un gant au héros que vous accompagnez. Mal à l’aise dans son corps massif de militaire, il trimbale un regard mélancolique et donne en permanence l’impression d’être là sans être là. Vous entrez dans sa vie au moment où il se réveille d’un rêve étrange comme en font les anciens soldats, peuplé de villageois afghans en colère et ponctué par une métamorphose qui le voit se changer en drone pour s’évader. Ensuite, au fil de la journée, quand vous allez l’aider à se raser, à ne pas mourir d’ennui sur la route qui l’emmène à son travail, à accomplir sa mission de guerrier de bureau, et à conduire de front partie de Modern Warfare et discussion avec son fils hyperactif, vous ressentirez vous aussi cet impérieux désir d’être ailleurs.
Car c’est une histoire de la lassitude qu’Unmanned se propose de vous faire vivre. Si la liste des « activités » prévues vous parait rébarbatives, c’est tout sauf un hasard. Dans cette expérience interactive, votre place de joueur rentre en résonance avec la vacuité, l’absence de sens, la déprime qui hantent le quotidien de votre alter-égo. C’est l’audacieux pari de la Molleindustria et No Media Kings, les auteurs du jeu : vous emmerder autant que s’emmerde le personnage.
Mais tout ça n’est qu’un leurre, car le vrai défi d’Unmanned n’est pas d’endurer les passages vides de sens – c’est plutôt de réussir à en retrouver. L’écran de jeu est partagé en deux, et si toutes les interactions précédemment décrites ont lieu dans la partie de droite, la gauche vous propose un challenge d’un autre genre : vous aurez à y faire des choix pour faire avancer l’histoire. Les introspections du héros, ses possibilités d’action, ses réponses dans un dialogue avec d’autres personnages s’afficheront à l’écran, et ce sera à vous d’orienter le soldat. La plupart de ces choix n’auront pas grande importance, mais certains seront cruciaux. Faut-il draguer ma collègue ? Parler avec mon fils de son rendez-vous chez le médecin ? Et surtout, est-on vraiment sûrs que ce petit tas de pixels, sur mon écran de contrôle, est bien un terroriste ennemi qu’il est pertinent d’atomiser à coup de missiles ?
Dans la position dans laquelle vous êtes, anesthésié par les interactions mécaniques et limitées de l’écran de droite, saurez-vous faire les « bons » choix dans celui de gauche ? Se poser cette question, c’est s’interroger, en parallèle, sur la place qui est laissée à la réflexion, à la conscience et à l’autodétermination dans les choix qui se présentent à votre personnage, et par extension aux vrais pilotes de drones dont il est la représentation. Cette réflexion est-elle encore possible, dans une société de la diversion, ou même la guerre, activité radicalement humaine, est désincarnée ? Quelles questions conservent du sens, quels choix conservent du poids, dans ce contexte ? Qu’est-ce, alors, qu’être libre ?
Tout dans Unmanned est conçu pour souligner ces questionnements. Par exemple, à la fin de chaque séquence de jeu, vous pourrez remporter des « récompenses », des médailles virtuelles vous informant de votre « réussite ». Là encore, une dichotomie s’installe : les médailles de l’écran de droite célébreront votre capacité à accomplir les interactions, c’est-à-dire à « faire ce qu’on vous dit », à suivre les règles du jeu, représentation métaphorique des ordres militaires. Celles de l’écran de gauche, en revanche, signaleront votre capacité à explorer les choix qui vous ont été offerts, à remettre en question les préjugés que vous, en tant que joueur, pouvez avoir sur le personnage que vous contrôlez. Ratez-en une, et vous savez que vous avez « loupé quelque chose ». Un ingénieux principe de game design pour mettre en avant le propos d’auteur inclus dans Unmanned.
Bien sûr, Unmanned n’est pas parfait. Son design manque par exemple cruellement de feedback. Le joueur n’a souvent qu’une vague idée de ce qu’il est censé faire – condition pourtant sine qua none à l’émergence de la question « Est-ce que je veux le faire ou pas ? ». En fait, comme cela arrive régulièrement avec les productions signées La Molleindustria, Unmanned s’adresse d’abord aux joueurs un peu intellos ayant une bonne connaissance des codes du jeu vidéo et étant prédisposés à se creuser la tête en jouant. C’est d’autant plus dommage qu’il apporte la preuve que nous sommes devant une nouvelle et prometteuse façon de raconter une histoire, mêlant narration classique, interactivité, rhétorique des règles et expressivité de l’illustration. J’espère que cette analyse vous permettra de poser sur Unmanned un regard curieux, les initiatives exploitant le jeu vidéo dans ce sens étant encore bien trop rares pour ne pas être encouragées.
Par Florent Maurin.
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Doit-on encore présenter la Molleindustria ? Ce collectif de développeurs italiens s’est fait connaître avec une série de jeux « a message ». Des titres en flash, jouables gratuitement, qui traitent de sujets controversés avec une acidité et une efficacité rarement égalées. Des exemples ? Que ce soit The McDonalds Game, simulation au vitriol du fonctionnement de la célèbre chaîne de fast food, Operation Pedopriest, qui s’attaque à la protection des prêtres pédophiles par l’église, ou encore Oiligarchy, intelligent simulacre de jeu d’exploitation du pétrole (bien plus profond qu’il y parait), un jeu Molleindustria ne ressemble à aucun autre. Mais récemment, Paolo Pedercini, le leader du collectif, s’était essayé à des expériences plus métaphysique, et aussi plus narratives, traitant par exemple de l’infernale routine d’un travailleur de bureau (Every day the same dream). C’est cette direction qu’il explore à nouveau avec Unmanned.
2011 fut l’année de l’expansion pour la gamification. Vous n’avez jamais entendu parler de ce terme barbare ? Je vous conseille le très bon article de RSLN sur le sujet. En bref : « gamifier », c’est appliquer des logiques de jeu à une activité pour la rendre ludique. En pratique, le plus généralement, il s’agit d’attribuer à l’utilisateur des « badges » ou toute autre forme de colifichets virtuels pour récompenser un comportement jugé positif, et de lui attribuer un score pour qu’il puisse se comparer aux autres… et tenter de les dépasser.
Ces dernier temps, donc, de nombreux domaines sont passés à la moulinette de la « gamification » : on gagne des badges en signalant sa présence dans Foursquare, on « score » des points en apprenant des compétences en ligne (comme dans l’excellent Code Academy), et certaines entreprises ayant manifestement flairé le filon proposent même de gamifier la saisie des feuilles de paie ou les émissions de CO2 d’une famille.
Je me demandais donc qui serait le premier à transposer l’idée en politique. Et c’est l’équipe de François Bayrou qui a remporté la course (ils reçoivent le badge « Speedy Gonzales » pour l’effort). Mardi, une nouvelle rubrique a en effet été ajoutée au site www.bayrou.fr Baptisée « les volontaires », elle propose à qui veut de s’inscrire et d’accomplir des « missions » pour soutenir la candidature du centriste :
Faire un don
Télécharger l’app Bayrou 2012 sur son iPhone,
Envoyer à des enseignants le message de soutien de FB,
Twitter pendant une intervention du candidat à la télé,
Se rendre à un meeting
…
A chaque action accomplie (la plupart sont validées sur la base d’une simple déclaration), le joueur-militant remporte quelques « décibels », des points témoignant de sa capacité à « faire entendre sa voix ». Et si son investissement est constant, il peut aussi décrocher des badges liés au type d’actions menées (présence sur le web ou les réseaux sociaux, participation à des meetings, recrutement d’autres « joueurs » etc).
Evidemment, le joueur/militant est aussi affublé d’un « rang », comparant son score à ceux de ses camarades. La panacée ? Faire son entrée dans le « top 3 » des meilleurs « volontaires », prêts à accomplir toutes les actions pour « donner de la voix pour François Bayrou ».
Autant le dire tout de suite : je n’ai rien contre la « gamification » dans l’absolu. Même si je trouve son principe un peu fade comparé à la puissance rhétorique d’un vrai jeu vidéo, dans certains cas, elle peut être utile pour structurer et orienter une communauté d’utilisateurs. Et je suis par ailleurs convaincu que le jeu est une activité noble, dont la réputation a besoin d’être soignée, et dont la définition doit être élargie.
Mais tout jeu implique une relation entre le « maître du jeu » et les personnes qui jouent, et cette relation est très expressive. Selon la manière dont le créateur (aussi appelé « game designer » dans le jargon du jeu vidéo) aura pensé les règles du jeu, le rôle des joueurs, leur implication et l’expérience qu’ils en tireront pourra varier du tout au tout. Le game design est un langage, et comme dans tout langage, il importe de réfléchir avant de parler.
Dans « les volontaires », les règles du jeu sont les suivantes :
Je fais ce qu’on me dit -> je gagne des points
Quand Europe1.fr m’a contacté pour me demander ma réaction aux « Volontaires » pour un article, je n’avais pas encore vu de quoi il s’agissait. Pourtant, j’en avais déjà une intuition, qui s’est avérée. La gamification telle qu’elle est pratiquée ici n’est pas une expérience de jeu. C’est un dispositif marketing qui a un but principal : amener les utilisateurs à faire ce qu’on veut qu’ils fassent. Ici, les utilisateurs sont des militants, ou au moins des sympathisants. Alors on leur présente une liste d’actions militantes, et à chaque fois qu’ils en mènent une à bien, on les récompense avec des points, voire des badges.
Imaginez un casino dans lequel le but de la direction serait de pousser les clients à utiliser les machines. Comment faire ? Il suffirait de remplir les bandits manchots de jetons en plastique, et de rendre toutes les parties gagnantes. Ce serait sans nul doute efficace… pendant un certain temps. Mais est-ce que ce serait fun ? Est-ce que ça aurait du sens ? Est-ce que ça amènerait à penser ? En bref, est-ce que le « jeu » en vaudrait la chandelle ?
La critique est aisée mais l’art est difficile, alors essayons de déterminer ce qu’il manque aux « Volontaires ». Dans une passionnante présentation, Sebastian Deterding dresse la liste des trois ingrédients nécessaires à ce genre de gamification pour devenir un vrai jeu.
Les voici :
– le sens. Les récompenses ne doivent pas être leur propre justification, mais plutôt un couronnement d’une activité pleine de sens pour l’utilisateur. Dans le cas des « Volontaires », il serait nécessaire de donner beaucoup plus de contexte qu’actuellement aux actions demandées. Pourquoi est-ce important de transmettre à des proches les lettres de François Bayrou ? Comment l’argent que je donne va-t-il être utilisé ? En quoi télécharger une appli iPhone va-t-il bien pouvoir aider le candidat que je supporte ? En bref : quel est le sens des actions qu’on me demande d’accomplir, à part « gagner des points » ou « faire comme les X autres qui ont déjà accompli cette tache » ?
– la maîtrise. Comme le soutient Raph Koster dans son excellent livre, A Theory of Fun, l’intérêt qu’on a pour le jeu vient de ce qu’on a l’impression d’apprendre, de progresser dans le défi qui nous est lancé par les règles. Sanctionner la « progression » par des badges qui disent « c’est bien, tu as fait ce qu’on attendait de toi » est une conception behavioriste un peu rouillée du game design (voire du design en général). Il vaudrait mieux lancer aux joueurs/militants de vrais défis, ordonnés, structurés, de plus en plus complexes, de plus en plus exigeants. Avec la promesse d’apprendre aux joueurs à devenir des militants de plus en plus efficaces. Des défis variés, dans leurs thèmes comme dans leur mode de résolution, qui les aideraient à structurer leur action de supporter politique.
– L’autonomie. La différence entre le travail et le jeu, c’est qu’on joue parce qu’on en a envie, sans coercition. Quand on se sent contrôlé, notre envie de jouer étouffe peu à peu. Or, recevoir une récompense parce qu’on a fait quelque chose donne cette impression d’être sous contrôle (comme on reçoit une note pour un contrôle à l’école), et cela dévalue l’activité qu’on vient d’accomplir, puisqu’on a besoin d’être « payé » (fut-ce en points) pour la faire. C’est le risque quand on greffe des récompenses extrinsèques sur une activité, comme c’est souvent le cas dans la gamification. Il y a plusieurs solutions à ce défaut : laisser le joueur poursuivre des buts qu’il se fixe lui-même, piquer son intérêt en lui donnant des récompenses qu’il n’a pas anticipé, lui permettre d’expérimenter et de s’amuser tout en restant sur les rails de l’objectif à atteindre. Sur ce point, la possibilité offerte aux joueurs/militants des « Volontaires » de proposer leurs propres actions est une bonne idée, mais qui ne va pas assez loin. Ces nouvelles actions auraient à gagner à être discutées en équipe, élaborées à plusieurs (en s’appuyant par exemple sur des ressources sur l’action militante, ou sur l’aide d’un community manager), puis soumises à la validation de la communauté, voire du candidat lui-même. Et pourquoi mettre les utilisateurs en compétition en comparant leurs scores ? Ne sont-ils pas censés avancer tous, chacun à son rythme, dans la même direction, celle de la victoire de François Bayrou ?
Sans un gros travail sur ces trois points, qui permettraient de proposer au joueur une vraie expérience, toute gamification est vouée à courir le risque de s’apparenter à une tentative d’exploitation des utilisateurs, comme le dénonce le chercheur américain Ian Bogost, une référence dans le domaine.
Alors oui, recourir au jeu, et le sortir de son acception habituelle d’ « activité gratuite réservée aux enfants » est une bonne idée. Les expériences profondément engageantes et touchantes que l’on peut vivre par le jeu peuvent nous mobiliser efficacement et avec enthousiasme autour d’une problématique (comme dans les newsgames) ou pour une cause donnée – pourquoi pas une cause politique ? En tant que défenseur de ce point de vue, je tire mon chapeau à l’équipe web de François Bayrou pour avoir eu l’ouverture d’esprit de s’aventurer sur la piste de la gamification. Mais je l’encourage aussi à aller plus loin, et à collaborer avec des game designers en plus des agences de com’ et des pros du marketing. Faites plus confiance à votre public, à la richesse et à l’intelligence de vos électeurs. Proposez-leur de jouer vraiment au lieu de tenter de les conditionner par le jeu. Allez, encore un effort !
Il y a quelques jours, j’ai été contacté par Fred di Giacomo, journaliste brésilien du magazine Super. Il voulait faire un best of 2011 pour les newsgames et me demandait mon avis. D’accord, la forme a tout du marronnier journalistique, mais l’exercice étant néanmoins très intéressant (et plutôt compliqué), j’ai décidé de publier ma liste sur ce blog . Voici donc les 10 newsgames m’ayant le plus interpelé cette année (c’est une liste, mais pas un classement) :
Forcément, je ne suis pas tout à fait objectif, puisque je suis, avec Nabil Wakim du Monde.fr et Renaud Boclet et Loïc Normand de KTM Advace, un des auteurs de ce jeu. Mais voici un jeu dans lequel le propos éditorial est exprimé par les règles, ce qui devrait être un passage obligé de tout Newsgame. Il est fun, a une identité graphique bien ancrée, on peut y rejouer sans se lasser trop rapidement… Évidemment, il a aussi les gros défauts d’un projet de recherche et développement (complexité et difficulté de prise en main, notamment), mais globalement, l’expérience « Primaires à Gauche » a été une réussite, ouvrant, je l’espère, la voie à la production d’autres newsgames en France.
Un jeu très simple et relativement linéaire, qui est aussi extrêmement efficace. Spent n’a pas été développé par un organe de presse (c’est une commande d’Urban Ministries of Durham, une ONG américaine de lutte contre l’exclusion), on ne peut donc pas le ranger dans la famille des Newsgames stricto sensu. Il remplit pourtant parfaitement son objectif : vous plonger dans la peau d’un travailleur pauvre, qui lutte chaque jour pour arriver à la fin du mois sans dépenser tout son argent. Un jeu qui prend, en ces temps de crise, une résonance particulière.
Budget Hero est un des premiers « jeux de budget » à avoir vu le jour (concept repris depuis par de nombreux organes de presse, dont le Figaro). Vous y avez la possibilité de gérer le budget des États-Unis poste par poste, en prenant en compte la dette du pays, mais aussi une série d’objectifs que vous vous fixez en début de partie. Voulez-vous réduire la dépendance énergétique nationale ? Favoriser la santé ? Renforcer la place des Etats-Unis dans le monde ? Et quels choix faire, pour quelles coupes opter, où dépenser plus pour atteindre vos buts ? Un newsgame qui a maintenant quelques années, mais qui se signale par une fréquence d’actualisation remarquable, en lien direct avec les soubresauts de l’actualité financière. Dommage qu’il soit plutôt moche…
Une expérience interactive très efficace, mise en place par la BBC pour essayer de déterminer si, en 2011, la notion de « classe » a encore un sens au Royaume-Uni (un pays qui n’a jamais connu de Révolution). Dans ce « sondage enrichi », les utilisateurs répondent, d’une façon amusante et efficace, à une série de questions sur eux-mêmes, leur vie, leurs habitudes culturelles… Et découvrent ensuite à quelle « classe » ils appartiennent (un blason représentant les résultats du quiz peut même être partagé sur Facebook). Un outil extraordinaire pour les journalistes, mais aussi pour les citoyens, ainsi appelés à réfléchir ensemble à une importante question de société.
Ce jeu est un ovni dans cette sélection, car avec Warco (voir ci-dessous), c’est un des rares à être un vrai projet commercial. Sorti sur PC et Mac, Fate of the World est une impressionnante simulation qui vous met au défi de régler les problèmes générés partout dans le monde par le réchauffement climatique. Construit sur une base de données monstrueuse et réaliste, Fate of the World s’adresse autant aux joueurs occasionnels désireux de mieux connaitre les enjeux environnementaux de demain qu’aux hardcore gamers souhaitant relever un vrai challenge. Car ce jeu est dur, affreusement dur. A l’image de la situation actuelle et à venir dont il traite.
6 : The wikileaks games.
Il ne s’agit pas ici de designer un jeu en particulier, mais plutôt de souligner comment une actualité particulière peut donner lieu, extrêmement rapidement, à la production de toute une bordée de titres distribués gratuitement sur Internet. Le jeu vidéo en tant que média est devenu un moyen d’expression à part entière, et une actualité, comme l' »affaire Wikileaks », est désormais source d’inspiration pour des développeurs, qu’ils soient amateurs ou pros. Il y a des dizaines d’exemples, en voici ici quatre : You Shall Know the Truth, Leaky World, et, plus légers, Wikileakers ou encore Uncle Sam vs Wikileaks…
Un newsgame qui ne traite pas d’une actualité en particulier, mais plutôt d’une des facettes du journalisme, et pas la moins prestigieuse : le reportage de guerre. Dans ce jeu, encore en développement, vous voila « armé » d’une caméra. A vous de plonger au cœur de conflits armés, d’éviter les balles, et de ramener les meilleures images pour, ensuite, monter un sujet qui rendra le mieux possible compte de la situation que vous couvrez. Beau et réaliste, Warco est un projet dont nous reparlerons sûrement en 2012, quand il sortira.
Bien sûr, The Death of Osama Bin laden, comme l’ensemble des jeux Kuma Wars, ne brille ni par ses graphismes, affreusement datés, ni par son gameblay, celui d’un First Person Shooter basique. Ce qui est intéressant, c’est que ce jeu, en 3D, et se déroulant dans une carte qui reproduit relativement fidèlement la dernière demeure d’Oussama Ben Laden, a été scénarisé, développé et mis en ligne en quelques jours à peine. Même si l’on peut discuter l’intérêt d’incarner le soldat qui a abattu l’ennemi public n°1, la performance technique est remarquable. En effet, en matière de newsgames, la réactivité à l’actualité est une donnée absolument cruciale.
Ce web documentaire, produit par l’excellent Office National du Film canadien, comporte deux parties : une série de vidéos documentaires relativement classiques, mais aussi un volet interactif extrêmement bien conçu. Puisque Trou Story raconte l’histoire de l’exploitation minière et de ses ravages, vous pouvez fonder votre propre compagnie, et exploiter un gisement jusqu’à l’épuisement. Bien sûr, cette « expérience interactive » n’est pas un vrai jeu vidéo (extrêmement linéaire, elle ne présente pas un niveau de « rejouabilité » très élevé), mais elle fait passer efficacement et très agréablement le message du documentaire. Dans la même veine, Manipulations, l’expérience web, qui accompagne la diffusion du documentaire Manipulations (sur l’affaire Clearstram et ses multiples ramifications) propose à l’internaute de « jouer » à refaire l’enquête. Passionnant !
Voilà un « beat them all » (comprenez « jeu de baston ») franchement original. D’abord, il est fluide, fun, et graphiquement rafraichissant (trois crans au-dessus de la moyenne de ce qu’on trouve sur le web). Mais surtout, il vous propose d’incarner… Un philosophe, pour en découdre avec d’autres écoles de pensée dans des combats à l’anachronisme délicieux (Platon contre Marx, Descartes contre Nietsche…). Ce jeu accompagnait en fait un article du magazine Super, et illustre le sujet d’une façon… plutôt percutante !
Voilà pour cette sélection des newsgames marquants de 2011. Si vous voulez rajouter des titres à la liste, n’hésitez pas à laisser un commentaire !