L’ENJMIN est probablement la plus connue des écoles de jeux vidéo françaises, et ses étudiants se signalent régulièrement par des travaux intéressants. Mais alors qu’habituellement, il s’agit plutôt d’expérimentations de gameplay laissant à la narration la portion congrue, une équipe de première année se signale cette fois avec [08:46], un « jeu du réel » au propos interpellant. Cette expérience en réalité virtuelle, qui se joue avec un casque Oculus Rift, vous met en effet dans la peau d’une des victimes de l’attentat du World Trade Centre. The Pixel Hunt a voulu en savoir plus sur le jeu, sa réalisation et les intentions des étudiants. Comment travaille-t-on sur un sujet aussi délicat ? Nous avons posé la question à Anthony Krafft, le game designer du projet.
Bonjour Anthony. Peux-tu nous dire dans quel contexte le projet [08:46] a vu le jour ?
A l’école où nous sommes (ENJMIN), nous avons en conclusion de notre première année de Master un exercice de projet, d’une durée théorique de trois mois et en équipes de taille contenue, dont le contenu est à l’initiative des étudiants. Nous nous sommes constitués en équipe de six assez tôt dans l’année parce que nous partageons des affinités à la fois humaines et artistiques.
Lorsqu’est venue l’heure de la proposition d’un sujet de projet, nous nous réunissions autour de deux notions importantes : il fallait que le projet soit ambitieux, tant artistiquement que techniquement, et il fallait impérativement qu’il nous ressemble. Le concept de [08:46] a surgi rapidement, et après quelques discussions sur les postures que nous y prendrions, a fait l’unanimité dans le groupe.
Lorsqu’est venue l’heure de la proposition d’un sujet de projet, nous nous réunissions autour de deux notions importantes : il fallait que le projet soit ambitieux, tant artistiquement que techniquement, et il fallait impérativement qu’il nous ressemble. Le concept de [08:46] a surgi rapidement, et après quelques discussions sur les postures que nous y prendrions, a fait l’unanimité dans le groupe.
Peux-tu nous présenter rapidement les membres de l’équipe et le rôle de chacun ?
Nous avons deux graphistes dans l’équipe, Baptiste Poligné et Romain Ferrand, qui se sont partagés les tâches sur le projet. S’ils ont tous deux abattu un gros travail de modélisation, Baptiste s’est concentré sur les effets, le texturing et, de manière plus générale, l’atmosphère de l’environnement, tandis que Romain a endossé le rôle prépondérant d’animateur suite au travail avec nos deux acteurs, Alice Kudlak et Kevin Roze, en salle de motion capture.
Axel Deshors, notre programmeur, a accompli l’entièreté de la programmation de [08:46] sous Unreal, du gameplay à l’IA en passant par le scripting des scènes narratives. Axel a aussi entrepris une phase de prototypage indispensable au début du projet, afin d’appréhender de façon pertinente les enjeux techniques de la réalité virtuelle.
Notre sound designer, Marc-Antoine Archier, a eu la lourde charge de constituer une ambiance sonore crédible et juste, avec notamment en brutaux points d’orgue les deux impacts sur les Tours. Il a également travaillé avec les acteurs lors des enregistrements vocaux.
Pierre-Yves Revellin est le producteur et chef de projet de [08:46] et, outre sa gestion et son effort logistique au quotidien, a œuvré à sa représentation, à sa communication et, le cas échéant, à sa défense.
Enfin, sous le titre de directeur créatif, j’ai participé à l’écriture de l’expérience, à la conception des environnements et des interactions, et à la direction d’acteurs, suite au travail important de documentation que nous avions effectué collectivement.
[08:46] parle des attaques du 11 septembre 2001. Pourquoi vous êtes-vous orienté vers un sujet si délicat ?
[08:46], fondamentalement, traite de l’événement qui a façonné notre monde moderne, et par extension notre génération. Les attentats du 11 septembre ont conditionné nos environnements géopolitiques et sociétaux, et même les attentats de janvier à Paris découlent finalement de l’atmosphère créée ce mardi en 2001. Nous avions donc envie de traiter ce sujet, d’autant plus qu’il serait foncièrement clivant dans notre média par sa dimension polémique ; il s’agissait de fait d’un défi artistique passionnant. Selon notre approche du jeu vidéo, nous nous sommes naturellement dirigés vers une approche empathique de l’événement en choisissant de le représenter directement du point de vue des victimes, en essayant de justement reproduire leur schéma émotionnel.
(Nous nous apercevrons pendant nos recherches que des étudiants de l’Université de Californie du Sud avaient entrepris un projet similaire en 2003 dénommé 911 Survivor, mais les outils à leur disposition à l’époque étaient bien plus rudimentaires)
D’autre part, le projet était à nos yeux un énorme défi technique. En dehors de quelques jeux de game jam (Ferguson TV, notamment), nous n’avions pour la plupart jamais réellement produit de jeu vidéo, et nos deux artistes Romain et Baptiste n’avaient même jamais vraiment travaillé en 3D avant début 2015 ! Les tâches complexes, et les apprentissages nécessaires ou induits les accompagnant, étaient indénombrables : la modélisation et l’animation 3D, Unreal Engine, la motion capture, l’écriture et l’enregistrement de situations et de dialogues, la reproduction juste et pertinente d’un étage de la Tour Nord…
Nous traitions le projet comme un mur dans lequel nous foncions à six. Il s’agissait pour nous de prendre assez de vitesse pour l’abattre en arrivant.
[08:46], fondamentalement, traite de l’événement qui a façonné notre monde moderne, et par extension notre génération. Les attentats du 11 septembre ont conditionné nos environnements géopolitiques et sociétaux, et même les attentats de janvier à Paris découlent finalement de l’atmosphère créée ce mardi en 2001. Nous avions donc envie de traiter ce sujet, d’autant plus qu’il serait foncièrement clivant dans notre média par sa dimension polémique ; il s’agissait de fait d’un défi artistique passionnant. Selon notre approche du jeu vidéo, nous nous sommes naturellement dirigés vers une approche empathique de l’événement en choisissant de le représenter directement du point de vue des victimes, en essayant de justement reproduire leur schéma émotionnel.
(Nous nous apercevrons pendant nos recherches que des étudiants de l’Université de Californie du Sud avaient entrepris un projet similaire en 2003 dénommé 911 Survivor, mais les outils à leur disposition à l’époque étaient bien plus rudimentaires)
D’autre part, le projet était à nos yeux un énorme défi technique. En dehors de quelques jeux de game jam (Ferguson TV, notamment), nous n’avions pour la plupart jamais réellement produit de jeu vidéo, et nos deux artistes Romain et Baptiste n’avaient même jamais vraiment travaillé en 3D avant début 2015 ! Les tâches complexes, et les apprentissages nécessaires ou induits les accompagnant, étaient indénombrables : la modélisation et l’animation 3D, Unreal Engine, la motion capture, l’écriture et l’enregistrement de situations et de dialogues, la reproduction juste et pertinente d’un étage de la Tour Nord…
Nous traitions le projet comme un mur dans lequel nous foncions à six. Il s’agissait pour nous de prendre assez de vitesse pour l’abattre en arrivant.
Concrètement, comment s’est passée l’écriture du projet ?
Le premier chantier que nous nous sommes imposé en pré-production était évidemment celui de la documentation. Depuis la structure des bâtiments jusqu’aux angles d’impact en passant par les dynamiques sociales dans les tours avant et pendant les incidents, nous nous sommes imprégnés du sujet pour être à la fois justes et précis, et ne pas verser dans le fantasme morbide. Personnellement, j’ai le désagréable souvenir d’un après-midi passé à calculer les dimensions des façades en partant des quelques chiffres disponibles, afin d’obtenir la largeur précise des fenêtres des Tours Jumelles, qui tiennent un rôle important dans la composition des environnements et dans le déroulement de l’histoire. Finalement, nous céderons aux nécessités de l’expérience et nous les agrandirons de quelques centimètres pour mieux suggérer la possibilité de sauter et ouvrir des angles de vue plus intéressants sur Manhattan…
En point d’orgue de cette documentation, nous avons eu la chance et l’honneur d’interviewer par Skype Brian Clark, faisant partie des quatre seuls survivants qui étaient au-dessus des points d’impact lors des attaques (tous les quatre dans la Tour Sud). Il nous a permis de nous faire une idée plus précise de la réalité des situations et des dynamiques dans les étages supérieurs et a cimenté, par sa bienveillance et sa générosité, notre motivation à la réalisation de [08:46].
En écrivant la narration de [08:46], nous avons essayé de retranscrire par les péripéties et par les personnages le schéma émotionnel des victimes. L’expérience ouvre sur une scène de bureau relativement classique qui fait office à la fois d’exposition et de tutoriel à la réalité virtuelle et à l’interaction. Nous avons essayé de surprendre le joueur lors du premier impact ; initialement, l’exercice pédagogique incluait le fait que le joueur jury ne connaissait rien du projet, mais nous devions aussi prévoir la sortie publique et l’inévitable bouche-à-oreille sur le sujet du jeu. Nous avons donc placé l’impact à contretemps, au cœur d’une interaction banale de bureau, pour signifier la rupture brutale d’une journée routinière de travail pour la quinzaine de milliers de personnes travaillant dans les tours au moment du premier impact, à 08h46.
Les personnages d’Audrey et du Fire Marshall ont vocation à guider le joueur dans les couloirs enfumés et à l’inciter à croire qu’une issue existe, et qu’il peut potentiellement gagner. Malheureusement, de la même façon que l’ensemble des personnes coincées au-dessus du 99ème étage au moment des faits avaient vu leurs trois seuls escaliers d’évacuation fauchés par l’avion, il ne dispose d’aucune issue pour s’échapper de son 101ème étage virtuel (reconstruit sur plans).
Le personnage de Dave existe principalement pour deux raisons. D’une part, il permet d’introduire une situation que de nombreuses victimes ont connue dans le WTC : l’appel aux secours ou à la famille. D’autre part, en se défenestrant, il permet de créer la dualité de choix pour le joueur, qui peut rester avec Audrey et périr dans la fumée ou sauter selon son exemple. Il était important pour nous que le saut soit un choix conscient du joueur, dans le but de fuir sa situation, plutôt qu’un prérequis à la complétion du jeu.
Le premier chantier que nous nous sommes imposé en pré-production était évidemment celui de la documentation. Depuis la structure des bâtiments jusqu’aux angles d’impact en passant par les dynamiques sociales dans les tours avant et pendant les incidents, nous nous sommes imprégnés du sujet pour être à la fois justes et précis, et ne pas verser dans le fantasme morbide. Personnellement, j’ai le désagréable souvenir d’un après-midi passé à calculer les dimensions des façades en partant des quelques chiffres disponibles, afin d’obtenir la largeur précise des fenêtres des Tours Jumelles, qui tiennent un rôle important dans la composition des environnements et dans le déroulement de l’histoire. Finalement, nous céderons aux nécessités de l’expérience et nous les agrandirons de quelques centimètres pour mieux suggérer la possibilité de sauter et ouvrir des angles de vue plus intéressants sur Manhattan…
En point d’orgue de cette documentation, nous avons eu la chance et l’honneur d’interviewer par Skype Brian Clark, faisant partie des quatre seuls survivants qui étaient au-dessus des points d’impact lors des attaques (tous les quatre dans la Tour Sud). Il nous a permis de nous faire une idée plus précise de la réalité des situations et des dynamiques dans les étages supérieurs et a cimenté, par sa bienveillance et sa générosité, notre motivation à la réalisation de [08:46].
En écrivant la narration de [08:46], nous avons essayé de retranscrire par les péripéties et par les personnages le schéma émotionnel des victimes. L’expérience ouvre sur une scène de bureau relativement classique qui fait office à la fois d’exposition et de tutoriel à la réalité virtuelle et à l’interaction. Nous avons essayé de surprendre le joueur lors du premier impact ; initialement, l’exercice pédagogique incluait le fait que le joueur jury ne connaissait rien du projet, mais nous devions aussi prévoir la sortie publique et l’inévitable bouche-à-oreille sur le sujet du jeu. Nous avons donc placé l’impact à contretemps, au cœur d’une interaction banale de bureau, pour signifier la rupture brutale d’une journée routinière de travail pour la quinzaine de milliers de personnes travaillant dans les tours au moment du premier impact, à 08h46.
Les personnages d’Audrey et du Fire Marshall ont vocation à guider le joueur dans les couloirs enfumés et à l’inciter à croire qu’une issue existe, et qu’il peut potentiellement gagner. Malheureusement, de la même façon que l’ensemble des personnes coincées au-dessus du 99ème étage au moment des faits avaient vu leurs trois seuls escaliers d’évacuation fauchés par l’avion, il ne dispose d’aucune issue pour s’échapper de son 101ème étage virtuel (reconstruit sur plans).
Le personnage de Dave existe principalement pour deux raisons. D’une part, il permet d’introduire une situation que de nombreuses victimes ont connue dans le WTC : l’appel aux secours ou à la famille. D’autre part, en se défenestrant, il permet de créer la dualité de choix pour le joueur, qui peut rester avec Audrey et périr dans la fumée ou sauter selon son exemple. Il était important pour nous que le saut soit un choix conscient du joueur, dans le but de fuir sa situation, plutôt qu’un prérequis à la complétion du jeu.
On voit que vous avez apporté un grand soin à la documentation pour recréer le plus fidèlement possible ce qu’ont vécu les victimes. Mais avez-vous un propos documentaire ? Portez-vous, à travers le jeu, un point de vue sur les événements, ou êtes-vous uniquement dans la reconstitution ?
Nous avons émis la volonté de retranscrire, à travers [08:46], la vie et la fin de vie de milliers de personnes pour qui le 11 septembre 2001 ne représentait ni un événement historique majeur ni un message politique, mais un mardi de travail routinier. Artistiquement, nous portions le souhait de rappeler que tout événement d’ampleur globale représente également des milliers d’événements individuels, et que l’échelle humaine n’avait pas nécessairement moins de valeur que la représentation de l’imaginaire collectif, souvent vue par le prisme de journaux télévisés.
Par honnêteté intellectuelle, il nous paraissait alors impensable de ne pas reproduire avec justesse et précision les situations vécues par les victimes, afin d’entretenir une empathie sincère et, encore une fois, de nous prévenir ainsi d’un sensationnalisme vulgaire. Il y a de fait un pendant documentaire inhérent à l’expérience, qui se manifeste par l’environnement et les péripéties exprimées.
Il est tout de même important de noter que [08:46] représente une version synthétique, condensée et hautement incomplète des événements individuels survenus dans les Tours, tant d’un point de vue humain que temporel, et qu’il reste donc fondamentalement une oeuvre fictionnelle.
Tu disais aussi que vous avez bossé en motion capture. Pourquoi ?
Afin d’obtenir des personnages virtuels crédibles, il était primordial pour nous de travailler avec des acteurs et de pouvoir capturer, en plus de leur voix, leurs mouvements. Grâce notamment à la sympathie, la bienveillance et la générosité de l’entreprise Solidanim, nous avons pu travailler plusieurs jours dans un studio de motion capture et, après une expérience inédite de direction d’acteurs, de logistique et de traitement, obtenir des animations d’une qualité et d’une naturelle humanité que nous n’aurions pu espérer atteindre manuellement dans les délais impartis.
Afin d’obtenir des personnages virtuels crédibles, il était primordial pour nous de travailler avec des acteurs et de pouvoir capturer, en plus de leur voix, leurs mouvements. Grâce notamment à la sympathie, la bienveillance et la générosité de l’entreprise Solidanim, nous avons pu travailler plusieurs jours dans un studio de motion capture et, après une expérience inédite de direction d’acteurs, de logistique et de traitement, obtenir des animations d’une qualité et d’une naturelle humanité que nous n’aurions pu espérer atteindre manuellement dans les délais impartis.
Avez-vous rencontré d’autres problèmes lors du développement ? J’imagine que faire un projet en VR n’est techniquement pas simple…
Oui, une autre problématique centrale du projet était l’appréhension et la juste utilisation de la réalité virtuelle, avec toutes les contraintes et opportunités d’ergonomie, d’immersion, d’identification qui l’accompagnent. Nous avons étudié longuement les best practices recommandées à la fois par Oculus et par les professionnels, et avons pu alors déterminer de nombreux paramètres et mécaniques tels que la hauteur de la caméra, la vitesse et l’accélération du joueur ou encore le mécanisme de rotation indentée.
Je t’épargne les nombreux autres chantiers de programmation, d’art, de sound design ou de game design auxquels nous avons été confrontés. Cependant, un de nos rares réels regrets concerne le doublage anglais du jeu, et notamment celui du Fire Marshall, pour lequel nous avons dû faire appel à un enseignant et non à un acteur à cause de problèmes logistiques et de contraintes temporelles.
Oui, une autre problématique centrale du projet était l’appréhension et la juste utilisation de la réalité virtuelle, avec toutes les contraintes et opportunités d’ergonomie, d’immersion, d’identification qui l’accompagnent. Nous avons étudié longuement les best practices recommandées à la fois par Oculus et par les professionnels, et avons pu alors déterminer de nombreux paramètres et mécaniques tels que la hauteur de la caméra, la vitesse et l’accélération du joueur ou encore le mécanisme de rotation indentée.
Je t’épargne les nombreux autres chantiers de programmation, d’art, de sound design ou de game design auxquels nous avons été confrontés. Cependant, un de nos rares réels regrets concerne le doublage anglais du jeu, et notamment celui du Fire Marshall, pour lequel nous avons dû faire appel à un enseignant et non à un acteur à cause de problèmes logistiques et de contraintes temporelles.
Quel est ton point de vue personnel sur la VR ? Qu’est-ce que cette technologie permet de vraiment nouveau et intéressant ? Au contraire, quels sont les cas dans lesquels utiliser la VR n’est pas pertinent ?
Fondamentalement, je pense que la réalité virtuelle doit être abordée comme un nouveau média à part entière, plutôt que comme une simple extension des médias d’interaction traditionnels ; même si les langages d’expression ont des racines communes, la grammaire de la réalité virtuelle doit considérer l’interagissant en des termes très différents. Nous avons face à nous une technologie qui transcende le sacro-saint principe de suspension d’incrédulité, en trompant le cerveau au point de parfois troubler sensiblement les fonctions cognitives.
À mon sens, la force principale de la réalité virtuelle est cette sensation immédiate d’habiter un espace, qu’il soit réaliste ou fantaisiste, ce qui ouvre des perspectives infinies quant à la reproduction de situations ou de fantasmes, qui peuvent d’ailleurs se manifester sous des formes très ludiques.
Cependant, si de nombreux projets se sont intéressés à la notion de présence de l’interagissant dans l’univers, peu ont encore pu réellement proposer des solutions quand au sens de cette présence, notamment narrativement. Le défi est passionnant : comment construire un personnage alors que le joueur est convaincu d’exister lui-même dans l’univers, et de n’être donc pas représenté par une projection, un avatar ? Pour donner un exemple simple, il est ardu d’attribuer une voix au personnage joueur, car d’une part, elle diffère évidemment de la voix naturelle du joueur, et d’autre part, elle sera nécessairement perçue par l’extérieur du crâne et non par effet organique de réverbération entre les cordes vocales et le tympan.
Fatalement, les tentatives d’adaptation de jeux vidéo traditionnels ne peuvent pas aboutir à des expériences très pertinentes, comme les développeurs d’Among the Sleepont pu en faire l’expérience récemment. D’un point de vue ergonomique, cognitif ou artistique, les enjeux sont beaucoup trop hétérogènes pour être considérés simultanément. Je crois sincèrement que, si de nombreux genres peuvent être traités en réalité virtuelle (l’horreur et la course sont deux candidats évidents), certaines expériences ludiques n’auraient aucun sens sous cette forme, et gagneront à conserver leur forme actuelle.
Mais la puissance véritable de la réalité virtuelle réside en son effarante simplicité, à condition d’un hardware abouti et accessible. Les interactions deviennent assez naturelles, voire instinctives, pour permettre de proposer des expériences complexes à un public qui d’ordinaire n’oserait pas approcher d’un jeu vidéo hors d’une surface tactile.
Je suis assez impatient de voir la sortie commerciale des premières générations de casques en 2016, tant pour étudier les solutions proposées par les développeurs que pour constater la réaction du marché et, a fortiori, du grand public.
Revenons au jeu. Comment a-t-il été accueilli ?
Les playtests ont vite été encourageants. Sans que ce soit dit dans l’expérience et sans qu’ils le sachent préalablement, les joueurs comprenaient qu’il s’agissait du World Trade Center, passaient le tutoriel avec facilité, arrivaient à se mouvoir dans les couloirs et à globalement interagir avec les objets prévus. Les réactions, tant à l’expérience mécanique qu’au sujet, étaient variées, parfois totalement inattendues. S’il a fallu ajuster certains éléments de jeu, et notamment la séquence de recherche dans les couloirs enfumés, afin de fluidifier l’expérience, notre plus grande fierté concerne le très faible taux de motion sickness survenue sur nos participants. Il s’agissait d’un enjeu prioritaire pour nous, et cela aura permis à de nombreuses personnes pourtant très peu habituées au média d’essayer et de terminer [08:46].
Détail amusant : afin de conforter les sens, qui connaissent inconsciemment la distance de la tête au sol, et ne pas créer de dissonance avec la station debout du personnage omniprésente dans le jeu, nous placions les participants sur un tabouret de bar, qui avait en plus l’effet non voulu mais pertinent d’être relativement instable…
Après un peu plus de deux mois de production réelle (entre mi-avril et le 25 juin), nous avons pu présenter et soutenir [08:46] avec une certaine fierté et le sentiment certain d’avoir connu de nombreuses batailles et d’en avoir gagné la plupart. Le mur qui se dressait devant nous a laissé quelques briques, mais nous avons sans doute réussi à l’abattre.
Le 11 septembre 2015, nous avons finalement mis le projet à disposition du public, en libre téléchargement sur Oculus Share et WEARVR. À l’heure actuelle, nous approchons des deux mille téléchargements et les retours des joueurs sont très éclectiques. Une vidéo de walkthrough, notamment, nous a beaucoup touchés, tant le joueur semble bouleversé à la fin de l’expérience.
Les playtests ont vite été encourageants. Sans que ce soit dit dans l’expérience et sans qu’ils le sachent préalablement, les joueurs comprenaient qu’il s’agissait du World Trade Center, passaient le tutoriel avec facilité, arrivaient à se mouvoir dans les couloirs et à globalement interagir avec les objets prévus. Les réactions, tant à l’expérience mécanique qu’au sujet, étaient variées, parfois totalement inattendues. S’il a fallu ajuster certains éléments de jeu, et notamment la séquence de recherche dans les couloirs enfumés, afin de fluidifier l’expérience, notre plus grande fierté concerne le très faible taux de motion sickness survenue sur nos participants. Il s’agissait d’un enjeu prioritaire pour nous, et cela aura permis à de nombreuses personnes pourtant très peu habituées au média d’essayer et de terminer [08:46].
Détail amusant : afin de conforter les sens, qui connaissent inconsciemment la distance de la tête au sol, et ne pas créer de dissonance avec la station debout du personnage omniprésente dans le jeu, nous placions les participants sur un tabouret de bar, qui avait en plus l’effet non voulu mais pertinent d’être relativement instable…
Après un peu plus de deux mois de production réelle (entre mi-avril et le 25 juin), nous avons pu présenter et soutenir [08:46] avec une certaine fierté et le sentiment certain d’avoir connu de nombreuses batailles et d’en avoir gagné la plupart. Le mur qui se dressait devant nous a laissé quelques briques, mais nous avons sans doute réussi à l’abattre.
Le 11 septembre 2015, nous avons finalement mis le projet à disposition du public, en libre téléchargement sur Oculus Share et WEARVR. À l’heure actuelle, nous approchons des deux mille téléchargements et les retours des joueurs sont très éclectiques. Une vidéo de walkthrough, notamment, nous a beaucoup touchés, tant le joueur semble bouleversé à la fin de l’expérience.
J’imagine que certaines personnes ont pu être choquées par l’expérience. D’autres jeux portant sur des événements réels tragiques ont, par le passé, été taxés de voyeurisme, d’indécence. Que répondre à ces critiques ?
En effet, au-delà de certaines critiques plus construites sur la pertinence du projet ou même sur la qualité de sa réalisation, de nombreuses personnes ont eu une réaction immédiate de rejet face à son concept. Les premiers commentaires sur Oculus Share s’interrogeaient en des termes peu flatteurs sur notre démarche, peu aidée il est vrai par notre description volontairement vague de l’expérience et de notre approche.
Face à ces critiques, la réponse évidente et épidermique de la légitimité artistique du média ne saurait éluder la problématique de la gratuité potentielle du traitement de l’événement.
Par principe, nous devons signaler avant tout qu’il n’y a pas d’aspect ludique dans [08:46] et qu’il n’y a jamais de volonté de détourner le sujet de ses enjeux réels. Ensuite, nous sommes profondément convaincus de l’intérêt du média interactif dans la perception, l’appréhension et l’interprétation par le public d’événements socio-culturels, et nous avons entrepris de proposer une expérience à la fois démonstratrice et porteuse de questionnements sur les frontières d’un média en maturation.
Nous ne pouvons garantir la justesse, la pertinence ou encore le bon goût de l’expérience, mais nous pouvons cependant assurer de nos intentions lors de la conception et de la production du projet, que j’évoquais un peu plus tôt. J’invite avant tout les personnes intéressées qui ont accès à un casque de réalité virtuelle à se faire leur propre opinion du sujet, plutôt qu’en se basant sur mes simples déclarations de bonne foi ou, à l’inverse, sur certaines condamnations un peu hâtives.
Finalement, pourquoi un joueur voudrait-il « revivre » des instants traumatisants de l’histoire, comme le 11 septembre, ou l’agonie dans une chambre à gaz, ou la torture à Guantanamo ? Qu’est-ce que de telles expériences peuvent apporter ?
De manière très pragmatique, au-delà des enjeux artistiques ou politiques que de tels projets peuvent porter, ces expériences, si elles sont produites avec soin et honnêteté, peuvent apporter une appréhension du réel à échelle humaine que d’autres médias ne peuvent sans doute qu’effleurer.
Depuis la sortie d'[08:46], on a vu à plusieurs reprises surgir la suggestion de produire des contenus similaires à visée pédagogique. Les mécanismes d’empathie et d’identification propres au jeu vidéo ou à la réalité virtuelle sont des vecteurs forts d’apprentissage, et sans aucun doute de puissants déclencheurs de réflexion.
Comment nos lecteurs qui le souhaitent peuvent-ils tester [08:46] ?
Il faudra tout d’abord qu’ils aient à leur disposition un Oculus Rift DK2 (version de développement) et un PC performant. Ensuite, vous pouvez vous rendre sur notre page Oculus Share ou WEARVR pour télécharger directement le projet. Les instructions d’utilisation sont également fournies.
Nous ne savons pas encore si [08:46] sera compatible avec les casques commerciaux lors de leur sortie l’an prochain, mais nous espérons pouvoir proposer une version adaptée le moment venu.
Vous pouvez retrouver l’introduction de l’expérience en vidéo sur notre site officiel, et des parcours plus complets de joueurs sont disponibles sur Youtube. Il faut cependant garder à l’esprit que l’expérience de visionnage sur un écran plat et l’expérience d’interaction dans le casque sont drastiquement différentes.
Merci beaucoup Anthony d’avoir pris le temps de répondre à nos questions.
Je précise que The Pixel Hunt va organiser une soirée de test de [8:46] dans le mois qui vient, en présence de deux des membres de l’équipe. Si vous êtes sur Paris et si vous souhaitez vous faire votre propre idée de cette expérience, contactez-nous !
Passionnante interview. Merci !